Décision n° 154-AT-A-2023

le 7 novembre 2023

Demande présentée par Lara Plokhaar contre K.L.M. Royal Dutch Airlines (KLM) concernant un obstacle à ses possibilités de déplacement lié au transport d’un animal de soutien émotionnel (ASE)

Numéro de cas : 
19-04591

Résumé

[1] Lara Plokhaar a présenté une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre KLM concernant le refus de KLM de transporter son ASE, un chien, du Canada aux Pays-Bas.

[2] En mai 2018, Mme Plokhaar a pris un vol à bord de KLM avec son ASE de Toronto (Ontario) à Amsterdam, Pays-Bas. Le 10 avril 2019, elle a réservé une place à bord d’un vol aller-retour de Toronto à Amsterdam auprès de KLM, dont le départ était prévu le 27 mai 2019 et le retour, le 23 juin 2019. Après que KLM l’a informée qu’elle n’acceptait plus les ASE sur son itinéraire Canada–Pays-Bas, Mme Plokhaar a annulé cette réservation.

[3] Mme Plokhaar demande l’autorisation de prendre un vol avec son ASE conformément aux conditions sous lesquelles elle s’est déplacée avec son ASE en mai 2018 au prix offert au moment de sa réservation le 10 avril 2019.

[4] Dans la décision LET-AT-A-13-2020 (décision intérimaire), émise le 25 février 2020, l’Office a conclu que Mme Plokhaar est une personne ayant une déficience et qu’elle avait rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement puisqu’elle n’a pas pu prendre un vol sur l’itinéraire Canada–Pays-Bas avec son ASE. Au moment des événements, l’Office effectuait des consultations sur la phase II du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (RTAPH), qui portaient notamment sur la question de savoir à quelles exigences, le cas échéant, devraient se conformer les fournisseurs de services de transport en ce qui a trait au transport d’ASE et d’animaux d’assistance autres que les chiens. L’Office était d’avis qu’il était convenable et dans l’intérêt de la justice de suspendre le traitement de la demande de Mme Plokhaar jusqu’à ce que ce processus de consultation prenne fin. En effet, un tel processus visait à répondre aux questions liées aux ASE de façon plus exhaustive et systématique que ne le permettrait un processus décisionnel au cas par cas. Le processus subséquent, qui a mené à la présente décision, est décrit à la section suivante.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que Mme Plokhaar n’a pas démontré que l’obstacle à ses possibilités de déplacement était abusif. Par conséquent, l’Office conclut que l’obstacle qui a empêché Mme Plokhaar de se déplacer avec son ASE dans la cabine de l’aéronef n’est pas abusif, et rejette la demande.

Contexte

[6]  Les consultations de l’Office sur la phase II du RTAPH ont pris fin le 28 février 2020. L’Office a indiqué dans son rapport de type « Ce que nous avons entendu » publié le 26 novembre 2020 que les commentaires reçus durant ces consultations ne l’ont pas orienté vers des solutions claires pour encadrer le transport des ASE. Il y a également indiqué qu’il continuerait d’étudier les options et de traiter au cas par cas les demandes concernant des ASE.

[7] Le processus décisionnel individuel de l’Office cherche à atteindre un juste équilibre entre les droits d’une personne ayant une déficience de prendre pleinement part à la société sans discrimination, et les autres facteurs en présence, comme ceux liés à la santé, à la sécurité ou aux conséquences financières des accommodements. Pour ce qui est des cas liés aux ASE dont il est saisi, l’Office était d’avis que ses processus décisionnels devaient non seulement prendre en compte ces facteurs dans le contexte particulier des transporteurs qui étaient parties, mais également examiner les conséquences plus vastes pour le réseau de transport fédéral et les autres usagers qui l’empruntent.

[8] L’Office a commandé un rapport d’expertise vétérinaire afin de mieux comprendre les facteurs qui interviennent dans le transport d’animaux à bord des divers modes de transport de compétence fédérale. Le 6 juillet 2022, l’Office a publié sur son site Web le Rapport d’expertise sur le transport d’animaux de soutien émotionnel à bord du matériel de transport (rapport d’expertise).

[9] En décembre 2022, l’Office a publié un résumé détaillé des présentations qu’il a reçues concernant les ASE dans le cadre des consultations de la phase II du RTAPH. L’Office est d’avis que les comptes rendus de ces consultations renferment un large éventail d’éléments de preuve concrets provenant d’un groupe de parties et de personnes intéressées de tous horizons, qui ont présenté une gamme complète de droits, d’intérêts et de préoccupations concernant la présence d’ASE dans le réseau de transport fédéral.

[10] Le 14 décembre 2022, l’Office a joint la demande de Mme Plokhaar à cinq autres demandes dans lesquelles les demanderesses réclament le droit de prendre les transports avec un animal qui a ou qui pourrait avoir le statut d’ASE. L’Office a joint ces demandes dans la décision LET-AT-55-2022 (décision préliminaire sur les ASE) pour étudier de façon plus efficace et selon un point de vue plus général la question de savoir s’il faudrait exiger que les transporteurs acceptent les ASE dans le réseau de transport fédéral, et si oui, à quelles conditions.

[11] Dans la décision préliminaire sur les ASE, l’Office a étudié la question de savoir si les ASE peuvent être transportés sans que les transporteurs se voient imposer une contrainte excessive, dans des situations où une demanderesse a démontré qu’elle a une déficience attribuable à un trouble de santé mentale et a besoin qu’un ASE l’accompagne dans les transports. Dans son analyse, l’Office a tenu compte des caractéristiques et des contraintes uniques des environnements de transport aérien et ferroviaire de passagers; a examiné les conséquences pour les autres éléments du réseau de transport fédéral dans son ensemble; et a cherché à trouver un juste équilibre entre l’accommodement des personnes qui ont besoin d’un ASE et la santé et la sécurité des autres usagers du réseau de transport fédéral, notamment d’autres personnes ayant une déficience qui ont leurs propres besoins liés à une déficience, en particulier les usagers qui se déplacent avec des chiens d’assistance, le public voyageur et le personnel des transports.

[12] L’Office a donné aux parties et aux personnes intéressées l’occasion de réagir aux conclusions préliminaires de l’Office. L’Office a reçu des présentations de la plupart des parties à la décision préliminaire sur les ASE, mais ni Mme Plokhaar ni KLM n’ont fait de présentations. Néanmoins, comme indiqué dans la décision 105-AT-C-A-2023 (décision définitive sur les ASE), l’Office est convaincu que le fondement de la preuve pour sa décision est solide et que l’éventail complet des points de vue sur les questions concernant les ASE a été pris en compte tout au long du processus ayant mené à la décision préliminaire sur les ASE.

[13] Dans la décision définitive sur les ASE, l’Office a conclu que :

  • les transporteurs se verront imposer une contrainte excessive s’ils sont tenus d’accepter d’autres espèces que des chiens en tant qu’ASE;
  • les chiens domestiqués pourraient en général faire de bons ASE, mais si le transport de chiens de soutien émotionnel (CSE) n’est pas réglementé, les transporteurs se verraient imposer une contrainte excessive en raison des risques pour la santé et la sécurité; des inquiétudes concernant le comportement et le bien‑être de l’animal; et des conséquences des fausses déclarations visant à faire passer des animaux de compagnie pour des CSE;
  • sous réserve de conditions et de garanties appropriées, les transporteurs pourraient transporter certains CSE sans se voir imposer de contraintes excessives. L’une de ces conditions est que le CSE puisse être transporté confortablement dans une cage de transport convenable qui doit entrer et demeurer sous le siège qui se trouve devant la personne ayant une déficience pour la durée du vol.

[14] Après avoir émis sa décision définitive sur les ASE, l’Office s’est penché à nouveau sur la demande de Mme Plokhaar afin de décider des questions en suspens. Dans la décision LET-AT-A-34-2023 (décision de demande de justification) émise le 19 septembre 2023, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que l’obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Plokhaar n’était pas abusif et lui a donné l’occasion de démontrer pourquoi il ne devrait pas rendre définitives ses conclusions préliminaires et rejeter sa demande. Ni Mme Plokhaar ni KLM n’ont répondu à la décision de demande de justification.

La loi

[15] La demande a été présentée au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada (LTC), qui au moment du dépôt de la demande, se lisait comme suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[16] L’Office détermine s’il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au moyen d’une approche en deux parties.

Partie 1 : Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

  • qu’il a une déficience au sens de la partie V de la LTC;

et

  • qu’il a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique qui a pour effet de priver une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de transport fédéral.

Partie 2 : S’il est déterminé que le demandeur est une personne ayant une déficience et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe à la défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

  • expliquer, en tenant compte des solutions proposées par la demanderesse, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

  • démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[17] La lettre d’ouverture des actes de procédure soulignait que si l’Office déterminait que la demanderesse était une personne ayant une déficience, il déterminerait alors s’il avait existé un obstacle à ses possibilités de déplacement. Toutefois, au moment où l’incident s’est produit, la version française du paragraphe 172(1) de la LTC utilisait le terme « personne ayant une déficience » au lieu du terme « personne handicapée ». Par conséquent, l’Office utilisera le terme « personne ayant une déficience » tout au long de la présente décision.

Analyse et détermination

[18] Dans le cas présent, la décision de demande de justification a remplacé les actes de procédure pour la partie 2 de l’approche de l’Office puisque, comme indiqué précédemment, l’Office a conclu dans la décision définitive sur les ASE que le transport non réglementé de CSE imposerait une contrainte excessive aux transporteurs.

[19] L’Office a évalué la preuve scientifique et qualitative concernant les risques pour la santé et la sécurité de l’équipage de conduite, des autres passagers et des chiens d’assistance causés par des conditions d’insalubrité et les risques de transmission de maladies; des inquiétudes concernant le comportement des animaux et le bien-être des CSE et des chiens d’assistance; et les conséquences des fausses déclarations visant à faire passer des animaux de compagnie pour des CSE. À la lumière de ce qui précède, l’Office a déterminé que la condition voulant que les CSE puissent être transportés confortablement dans une cage de transport convenable qui doit entrer et demeurer sous le siège qui se trouve devant la personne ayant une déficience pour la durée du vol était raisonnable puisqu’il a conclu que :

  • toute garantie qu’un passager qui se déplace avec un CSE fournit au transporteur concernant le tempérament, le dressage ou le comportement de son chien ne peut pas remplacer l’attestation de dressage délivrée par une personne ou un organisme spécialisé en formation de chiens d’assistance, qui est exigée pour les chiens d’assistance au titre du RTAPH;
  • les transporteurs ne disposent pas de l’expertise spécialisée nécessaire pour bien déterminer qu’un CSE aura un comportement irréprochable en public, et les obliger à procéder à de telles déterminations leur imposerait une contrainte excessive;
  • l’Office ne peut pas imposer d’exigences précises en matière de dressage à titre de mesure d’atténuation efficace puisqu’il n’existe aucune formation et certification reconnue, normalisée et publique pour les équipes composées d’un CSE et de son maître.

[20] L’Office a conclu que cette condition était raisonnable et permettait de gérer les risques inhérents au transport de CSE.

[21] Mme Plokhaar a indiqué, dans la demande qu’elle a présentée auprès de KLM aux fins du transport de son CSE dans la cabine, que son ASE était un épagneul springer anglais de 17,7 kg au moment où elle souhaitait prendre le vol. Par conséquent, l’ASE de Mme Plokhaar est trop gros pour être transporté dans une cage sous le siège devant elle à bord d’un aéronef, ce qui signifie qu’elle ne peut pas respecter cette condition.

[22] Dans la décision de demande de justification, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que l’obstacle qui empêche Mme Plokhaar de se déplacer avec son ASE à bord de la cabine de l’aéronef n’est pas abusif puisque le transport de son ASE à bord de la cabine imposerait une contrainte excessive à KLM s’il ne pouvait pas être transporté confortablement dans une cage convenable qui peut entrer sous le siège devant elle.

[23] Mme Plokhaar n’a pas déposé de réponse à la décision de demande de justification. Par conséquent, l’Office conclut qu’elle n’a pas démontré que l’obstacle à ses possibilités de déplacement était abusif.

Conclusion

[24] L’Office conclut que l’obstacle qui a empêché Mme Plokhaar de se déplacer avec son ASE dans la cabine de l’aéronef n’est pas abusif, et rejette la demande.

Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 172(1)

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Heather Smith
Mary Tobin Oates
Date de modification :