Décision n° 160-AT-A-2023

le 12 décembre 2023

Demande présentée par Hunter Troup contre Air Canada concernant un obstacle à ses possibilités de déplacement avec son animal de soutien émotionnel (ASE)

Numéro de cas : 
19-03711

Résumé

[1] Hunter Troup a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Air Canada concernant le refus d’accepter son chien sur un vol entre le Canada et Cuba.

[2] Mme Troup affirme qu’elle devait se rendre à Cuba en juillet 2019 et qu’elle a appelé les Services de santé d’Air Canada en mai 2019 pour se préparer à se déplacer avec son chien comme mesure d’accommodement liée à sa déficience. On lui a dit que, pour être autorisé à bord du vol, son chien doit être certifié comme animal d’assistance.

[3] Mme Troup demande, puisqu’elle est « maître d’un chien d’assistance dressé par son propriétaire », qu’elle soit autorisée à prendre un vol avec son chien et, si la documentation relative au dressage est requise, qu’elle soit autorisée à soumettre une déclaration sous serment qui indique que son chien a bel et bien été dressé.

[4] Dans la décision LET-AT-A-15-2020 (décision provisoire), émise le 5 mars 2020, l’Office a conclu que Mme Troup est une personne ayant une déficience, que son chien est un ASE parce qu’il n’est pas certifié comme chien d’assistance, et qu’elle a rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement lorsqu’elle n’a pas pu prendre de vol entre le Canada et Cuba avec son ASE. À ce moment-là, l’Office menait des consultations sur la phase II du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (RTAPH), qui comprenait l’examen de ce qu’il fallait exiger, le cas échéant, des fournisseurs de services de transport en ce qui concerne le transport des ASE et des animaux d’assistance autres que les chiens. L’Office était d’avis qu’il était approprié et dans l’intérêt de la justice de suspendre le cas de Mme Troup jusqu’à l’achèvement de ces consultations. Lors de ces dernières, on a examiné les enjeux relatifs aux ASE d’une manière plus complète et systématique ce que n’aurait pas permis un processus décisionnel individuel. La démarche qui a mené à la présente décision est décrite dans la section suivante.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut que Mme Troup n’a pas démontré que l’obstacle qu’elle a rencontré était abusif. Par conséquent, l’Office conclut que l’obstacle qui empêche Mme Troup de se déplacer avec son ASE dans la cabine de l’aéronef n’est pas abusif, et rejette la demande.

Contexte

[6] Les consultations de l’Office sur la phase II du RTAPH ont pris fin le 28 février 2020. L’Office a indiqué par la suite dans son rapport de type « Ce que nous avons entendu » publié le 26 novembre 2020 que les commentaires reçus durant ces consultations ne l’ont pas orienté vers des solutions claires pour encadrer le transport des ASE. Il y a également indiqué qu’il continuerait d’étudier les options et de traiter au cas par cas les demandes concernant des ASE.

[7] Le processus décisionnel individuel de l’Office cherche à atteindre un juste équilibre entre les droits d’une personne handicapée de prendre pleinement part à la société sans discrimination, et les autres facteurs en présence, comme ceux liés à la santé, à la sécurité ou aux conséquences financières d’un accommodement. Pour ce qui est des cas liés aux ASE dont il était saisi, l’Office était d’avis que ses processus décisionnels devaient non seulement prendre en compte ces facteurs dans le contexte particulier des transporteurs qui étaient parties, mais également examiner les conséquences plus vastes pour le réseau de transport fédéral et les autres usagers qui l’empruntent.

[8] L’Office a commandé un rapport d’expertise vétérinaire afin de mieux comprendre les facteurs qui interviennent dans le transport d’animaux à bord des divers modes de transport de compétence fédérale. Le 6 juillet 2022, l’Office a publié sur son site Web le Rapport d’expertise sur le transport d’animaux de soutien émotionnel à bord du matériel de transport (rapport d’expertise).

[9] En décembre 2022, l’Office a publié le résumé détaillé des présentations qu’il a reçues concernant les ASE pendant les consultations sur la phase II du RTAPH. L’Office est d’avis que les comptes rendus de ces consultations renferment un large éventail d’éléments de preuve concrets provenant d’un groupe de parties et de personnes intéressées de tous horizons, qui ont présenté une gamme complète de droits, d’intérêts et de préoccupations concernant la présence d’ASE dans le réseau de transport fédéral.

[10] Le 14 décembre 2022, l’Office a joint la demande de Mme Troup à cinq autres demandes dans lesquelles les demanderesses réclament le droit de prendre les transports avec un animal qui a ou qui pourrait avoir le statut d’ASE. L’Office a joint ces demandes dans la décision LET-AT-55-2022 (décision préliminaire sur les ASE) pour étudier de façon plus efficace et selon un point de vue plus général la question de savoir s’il faudrait exiger que les transporteurs acceptent les ASE dans le réseau de transport fédéral, et si oui, à quelles conditions.

[11] Dans la décision préliminaire sur les ASE, l’Office a étudié la question de savoir si les ASE peuvent être transportés sans que les transporteurs se voient imposer une contrainte excessive, dans des situations où une demanderesse a démontré qu’elle a un handicap attribuable à un trouble de santé mentale et a besoin qu’un ASE l’accompagne dans les transports. Dans son analyse, l’Office a tenu compte des caractéristiques et des contraintes uniques des environnements de transport aérien et ferroviaire de passagers; a examiné les conséquences pour les autres éléments du réseau de transport fédéral dans son ensemble; et a cherché à trouver un juste équilibre entre l’accommodement des personnes qui ont besoin d’un ASE et la santé et la sécurité des autres usagers du réseau de transport fédéral, notamment d’autres personnes handicapées qui ont leurs propres besoins liés à un handicap, en particulier les autres usagers qui se déplacent avec des chiens d’assistance, le public voyageur et le personnel des transports.

[12] L’Office a donné aux parties et aux personnes intéressées l’occasion de réagir aux conclusions préliminaires de l’Office. L’Office a reçu des présentations de la plupart des parties à la décision préliminaire sur les ASE, y compris Mme Troup et Air Canada, et a tenu compte de leurs présentations. Comme indiqué dans la décision 105-AT-C-A-2023 (décision définitive sur les ASE), l’Office est convaincu que le fondement de la preuve pour sa décision est solide et que l’éventail complet des points de vue sur les questions concernant les ASE a été pris en compte tout au long du processus ayant mené à la décision préliminaire sur les ASE.

[13] Dans la décision définitive sur les ASE, l’Office a conclu que :

  • les transporteurs se verront imposer une contrainte excessive s’ils sont tenus d’accepter d’autres espèces que des chiens en tant qu’ASE;
  • les chiens domestiqués pourraient en général faire de bons ASE, mais si le transport de chiens de soutien émotionnel (CSE) n’est pas réglementé, les transporteurs se verraient imposer une contrainte excessive en raison des risques pour la santé et la sécurité; des inquiétudes concernant le comportement et le bien‑être de l’animal; et des conséquences des fausses déclarations visant à faire passer des animaux de compagnie pour des CSE;
  • sous réserve de conditions et de garanties appropriées, les transporteurs pourraient transporter certains CSE sans se voir imposer de contraintes excessives. L’une de ces conditions est que le CSE puisse être transporté confortablement dans une cage de transport convenable qui doit entrer et demeurer sous le siège qui se trouve devant la personne handicapée pour la durée du vol.

[14] Après avoir rendu sa décision définitive sur les ASE, l’Office s’est penché à nouveau sur la demande de Mme Troup afin de décider des questions en suspens. Dans la décision LET-AT-A-35-2023 (décision de demande de justification) émise le 20 septembre 2023, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que l’obstacle aux possibilités de déplacement de Mme Troup n’était pas abusif et lui a donné l’occasion de démontrer pourquoi il ne devrait pas rendre définitive cette conclusion préliminaire et rejeter sa demande.

La loi

[15] La demande a été présentée au titre du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada (LTC), qui au moment du dépôt de la demande, se lisait comme suit :

Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[16] L’Office détermine s’il y a un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience au moyen d’une approche en deux parties.

Partie 1 : Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

  • qu’il a une déficience au sens de la partie V de la LTC;

et

  • qu’il a rencontré un obstacle. Un obstacle est une règle, une politique, une pratique ou une structure physique qui a pour effet de priver une personne ayant une déficience de l’égalité d’accès aux services qui sont normalement accessibles aux autres utilisateurs du réseau de transport fédéral.

Partie 2 : S’il est déterminé que le demandeur est une personne ayant une déficience et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe à la défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

  • expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à une règle, à une politique, à une pratique, à une technologie, à une structure physique ou à toute autre  contrainte constituant un obstacle, ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

  • démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[17] La lettre d’ouverture des actes de procédure et la décision provisoire soulignaient que si l’Office déterminait que le demandeur était une personne ayant une déficience, il déterminerait alors s’il avait existé un obstacle à ses possibilités de déplacement. Toutefois, au moment où l’incident s’est produit, la version anglaise du paragraphe 172(1) de la LTC utilisait le terme « obstacle » au lieu de « barrier »; et en français, la LTC utilisait « déficience » et « personne ayant une déficience » au lieu des termes « handicap » et « personne handicapée ». Par conséquent, l’Office utilisera le terme « obstacle » en anglais ainsi que « déficience » et « personne ayant une déficience » en français pour décrire la condition de Mme Troup.

Positions des parties

Mme Troup

[18] Mme Troup affirme qu’il est inutile de se déplacer avec son ASE dans une cage de transport qui n’entre pas sous le siège devant elle, ou qui est placée dans un endroit où son ASE ne peut pas l’aider. Dans ses présentations précédentes, elle a souligné que son ASE ne peut pas accomplir les tâches pour lesquelles il a été dressé s’il se trouve dans une cage de transport. Elle fait valoir que son ASE est son dispositif d’assistance et que ce n’est pas différent d’une personne qui utilise une canne, un fauteuil roulant ou une marchette qui doit être à sa portée lorsqu’elle en a besoin.

[19] Tant que la Province de l’Ontario n’aura pas modifié son approche en matière d’évaluation et de délivrance de licences pour les chiens d’assistance, Mme Troup aura l’impression de lutter pour une cause perdue. Actuellement, il n’existe aucun organisme de certification ou institut réglementé qui puisse certifier un chien dressé par son propriétaire ou par des dresseurs privés. De plus, il peut être financièrement difficile pour une personne qui a recours à un chien pour répondre à ses besoins liés à un handicap de faire appel aux services d’organismes de formation et de certification existants. Ou encore, il est possible que ces organismes dressent les chiens pour qu’ils accomplissent des tâches particulières pour des handicaps précis, ce qui pourrait ne pas répondre aux besoins de cette personne.

Air Canada

[20] Air Canada fait valoir que le transport de l’ASE de Mme Troup constituerait une contrainte abusive, à moins que le chien soit placé dans une cage de transport convenable qui entre sous le siège devant elle. Air Canada soutient qu’en l’absence de renseignements supplémentaires de la part de Mme Troup, il n’y a aucun enjeu particulier ni aucune circonstance individuelle qui empêcherait l’Office de confirmer la conclusion préliminaire énoncée dans la décision de demande de justification.

Analyse et détermination

[21] Dans le cas présent, la décision de demande de justification a remplacé les actes de procédure pour la partie 2 de l’approche de l’Office puisque, comme indiqué précédemment, l’Office a conclu dans la décision définitive sur les ASE que le transport non réglementé de CSE imposerait une contrainte excessive aux transporteurs.

[22] L’Office a évalué la preuve scientifique et qualitative concernant les risques pour la santé et la sécurité de l’équipage de conduite, des autres passagers et des chiens d’assistance causés par des conditions d’insalubrité et les risques de transmission de maladies; des inquiétudes concernant le comportement des animaux et le bien-être des CSE et des chiens d’assistance; et les conséquences des fausses déclarations visant à faire passer des animaux de compagnie pour des CSE. À la lumière de ce qui précède, l’Office a déterminé que la condition voulant que les CSE puissent être transportés confortablement dans une cage de transport convenable qui doit entrer et demeurer sous le siège qui se trouve devant la personne handicapée pour la durée du vol était raisonnable puisqu’il a conclu que :

  • toute garantie qu’un passager qui se déplace avec un CSE fournit au transporteur concernant le tempérament, le dressage ou le comportement de son chien ne peut pas remplacer l’attestation de dressage délivrée par une personne ou un organisme spécialisé en formation de chiens d’assistance, qui est exigée pour les chiens d’assistance au titre du RTAPH;
  • les transporteurs ne disposent pas de l’expertise spécialisée nécessaire pour bien déterminer qu’un CSE aura un comportement irréprochable en public, et les obliger à procéder à de telles déterminations leur imposerait une contrainte excessive;
  • l’Office ne peut pas imposer d’exigences précises en matière de dressage à titre de mesure d’atténuation efficace puisqu’il n’existe aucune formation et certification reconnue, normalisée et publique pour les équipes composées d’un CSE et de son maître.

[23] L’Office a conclu que cette condition était raisonnable et permettait de gérer les risques inhérents au transport de CSE.

[24] Au moment où elle souhaitait prendre un vol, Mme Troup a indiqué que son ASE était un fox-terrier à poil lisse et qu’il était trop gros pour être placé dans une cage de transport sous le siège devant elle. Par conséquent, elle ne pouvait pas remplir cette condition pour se déplacer avec un ASE à bord de la cabine d’un aéronef.

[25] Dans la décision de demande de justification, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que l’obstacle qui empêche Mme Troup de se déplacer avec son ASE à bord de la cabine de l’aéronef n’est pas abusif puisque le transport de son ASE à bord de la cabine imposerait une contrainte excessive à Air Canada s’il ne pouvait pas être transporté confortablement dans une cage convenable qui peut entrer sous le siège devant elle.

[26] La réponse de Mme Troup à la décision de demande de justification ne fournit aucun nouveau renseignement qui mènerait l’Office à déroger à sa conclusion préliminaire. Par conséquent, l’Office conclut qu’elle n’a pas démontré que l’obstacle qu’elle a rencontré était abusif.

Conclusion

[27] L’Office conclut que l’obstacle qui a empêché Mme Troup de se déplacer avec son ASE dans la cabine de l’aéronef n’est pas abusif, et rejette la demande.

Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 172(1)

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
Heather Smith
Mary Tobin Oates
Date de modification :