Décision n° 333-C-A-2015

le 21 octobre 2015

DEMANDE présentée par Aaron de Mello contre Jet Airways (India) Limited.

Numéro de cas : 
15-03174

DEMANDE

[1]

Aaron de Mello a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Jet Airways (India) Limited (Jet Airways) concernant la perte alléguée de son bagage pendant un voyage, les 10 et 11 janvier 2015, de Mumbai, Inde, à Toronto (Ontario), Canada, via Abu Dhabi, Émirats arabes unis et Bruxelles, Belgique.

RECOURS DEMANDÉ

[2]

M. de Mello demande un montant d’argent équivalent à la valeur de son billet de retour. Il est d’avis que cette façon de faire est plus facilement quantifiable que de demander à Jet Airways d’évaluer la valeur de son bagage et de son contenu.

QUESTIONS

  1. Jet Airways a-t-elle correctement appliqué la règle C55(C)(18), qui a trait à la responsabilité en cas de perte de bagages, de son tarif international intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 521 (tarif), comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58, modifié (RTA)?

  2. Si Jet Airways n’a pas correctement appliqué la règle C55(C)(18) de son tarif, quel recours, le cas échéant, est à la disposition de M. de Mello?

QUESTION 1 : JET AIRWAYS A-T-ELLE CORRECTEMENT APPLIQUÉ LA RÈGLE C55(C)(18) DE SON TARIF, COMME L’EXIGE LE PARAGRAPHE 110(4) DU RTA?

Position de M. de Mello

[3]

M. de Mello fait valoir que lorsqu’il est monté à bord de son vol à Mumbai, un membre d’équipage l’a informé qu’il n’y avait pas de place dans les compartiments de rangement supérieurs pour son bagage de cabine, et qu’il faudrait donc le faire enregistrer. M. de Mello affirme qu’il croyait qu’il s’agissait d’une procédure normale, et il a donc donné son bagage au membre d’équipage, qui ne lui a pas remis d’étiquette. M. de Mello ajoute que le membre d’équipage a écrit le numéro du siège (10F) de M. de Mello sur l’étiquette de sécurité de son bagage, et lui a assuré qu’on le lui rendrait à sa prochaine destination ou à sa destination finale.

[4]

M. de Mello indique que son bagage ne se trouvait pas sur le carrousel à bagages à son arrivée à l’aéroport d’Abu Dhabi. Il fait valoir que les préposés aux bagages l’ont informé que tous les bagages avaient été déchargés de son vol, et que son bagage était probablement en transit vers sa destination finale, c’est‑à‑dire Toronto.

[5]

M. de Mello affirme qu’à son arrivée à Toronto, il a reçu ses bagages enregistrés, mais pas son bagage de cabine. Il indique qu’un représentant de Jet Airways au carrousel à bagages a pris en note ses coordonnées et les détails de son vol, et lui a dit qu’il pouvait quitter l’aéroport, car rien ne pouvait être fait sur-le-champ. M. de Mello soutient que cette personne ne lui a pas donné de numéro de confirmation de plainte ni d’autres renseignements de suivi, mais l’a informé que quelqu’un communiquerait avec lui.

[6]

M. de Mello affirme qu’il a communiqué avec Jet Airways à plusieurs reprises, mais que chaque fois, le transporteur lui a reproché de ne pas avoir présenté une réclamation officielle pour la perte de son bagage de cabine, ni obtenu un numéro de suivi, malgré le fait qu’il ait parlé à un grand nombre d’employés de Jet Airways à propos de son bagage manquant durant son voyage de Mumbai à Toronto.

[7]

M. de Mello admet avoir fait l’erreur de ne pas obtenir une quelconque méthode de suivi pour son bagage de cabine auprès de l’équipage, mais il avait l’impression que le membre d’équipage qui a pris son bagage pour le faire enregistrer suivait une procédure normale en cas de manque d’espace, et que son bagage serait manutentionné avec soin et lui serait livré à sa prochaine destination ou à sa destination finale. Il ajoute qu’il a fait confiance au personnel de Jet Airways.

[8]

Selon M. de Mello, les objets suivants se trouvaient dans son bagage de cabine :

  • un casque d’écoute de marque Sennheiser;

  • un iPod Nano;

  • un stylo;

  • plusieurs articles vestimentaires;

  • des fruits et une boisson;

  • un adaptateur pour ordinateur portable de marque Lenovo.

Position de Jet Airways

[9]

Jet Airways fait valoir qu’il n’y a aucune preuve que le bagage de M. de Mello lui a été pris, qu’une étiquette y a été apposée, ou qu’une étiquette de récupération de bagage a été remise à M. de Mello. Néanmoins, Jet Airways affirme qu’elle a déployé des efforts considérables à Abu Dhabi, à Bruxelles et à Toronto pour chercher le bagage manquant.

[10]

Jet Airways soutient qu’il est impossible dans le cas présent de régler une réclamation découlant de la manutention inadéquate d’un bagage de cabine, car il n’y a aucune preuve qu’une étiquette aurait été remise à M. de Mello. Jet Airways affirme que la procédure obligatoire prévoit qu’un représentant des services aéroportuaires remette une étiquette de décharge partielle de responsabilité, et qu’une étiquette de récupération de bagage soit remise à la personne à la porte de l’aéronef.

[11]

Jet Airways indique qu’elle n’assume aucune responsabilité pour le bagage manquant ou son contenu déclaré/non déclaré, et qu’il est donc impossible de rembourser le billet de retour.

Réplique de M. de Mello

[12]

M. de Mello n’est pas d’accord avec les affirmations de Jet Airways selon lesquelles il n’y a aucune preuve que quelqu’un lui a pris son bagage ni que Jet Airways a déployé des efforts considérables pour chercher son bagage manquant. M. de Mello fait valoir que la caméra de sécurité captant l’embarquement à bord de son vol pourrait fournir la preuve qu’il avait effectivement un bagage de cabine avec lui à ce moment-là, mais qu’il n’en avait plus lorsqu’il a débarqué du même vol. En ce qui a trait à l’affirmation de Jet Airways selon laquelle elle aurait déployé des efforts considérables pour localiser son bagage, M. de Mello soutient que le transporteur n’a fourni aucune preuve pour étayer cette affirmation. Il fait également valoir que Jet Airways n’a pas fourni de preuve qu’elle aurait contacté ou interrogé le personnel en cause dans cet incident.

[13]

M. de Mello réitère qu’il a donné son bagage de cabine à un membre d’équipage qui le lui demandait, en raison d’un manque d’espace dans les compartiments de rangement supérieurs. Il fait valoir que si une telle demande fait partie des procédures normales, alors il revient à Jet Airways de veiller à ce que le bagage en question soit étiqueté en conséquence et qu’on lui donne un moyen quelconque pour faire le suivi de son bagage. Toutefois, M. de Mello indique que, comme l’a admis Jet Airways, un tel étiquetage n’a pas été fait et de telles procédures n’ont pas été suivies. Selon M. de Mello, Jet Airways doit donc assumer la responsabilité de son bagage manquant, car la perte est attribuable au défaut de cette dernière de respecter les procédures.

Analyse et constatations

[14]

La règle C55(C)(18) du tarif prévoit ce qui suit :

[traduction]

Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal, les règles de responsabilité prévues dans celle-ci font partie intégrante du présent tarif et prévalent et l’emportent sur les dispositions du présent tarif qui sont incompatibles avec lesdites règles.

[15]

L’article 17(2) de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal (Convention) prévoit ce qui suit :

Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.

[16]

Conformément à un principe bien établi sur lequel s’appuie l’Office lorsqu’il examine des demandes, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif ou qu’il ne les a pas appliquées de façon uniforme.

[17]

M. de Mello indique qu’il a remis son bagage de cabine au membre d’équipage de Jet Airways à sa demande, et qu’il était en confiance lorsque le membre d’équipage l’a rassuré qu’il pourrait récupérer son bagage à sa prochaine destination ou à sa destination finale, mais sans lui remettre une étiquette pour prouver que son bagage avait été enregistré. Il souligne également qu’il a fourni les renseignements concernant son bagage perdu à un représentant de Jet Airways à l’aéroport de Toronto.

[18]

Jet Airways affirme que rien ne prouve que quelqu’un a pris le bagage de cabine de M. de Mello, qu’une étiquette a été apposée sur ce bagage, ou qu’une étiquette de récupération lui a été remise.

[19]

Lorsque des versions contradictoires des événements sont présentées par les parties, l’Office a statué précédemment, le plus récemment dans la décision no 426-C-A-2013 (Gibbins c. Société Air France exerçant son activité sous le nom d’Air France), qu’il incombe au demandeur d’établir que sa version est la plus probable. Lorsqu’il examine les éléments de preuve, l’Office doit déterminer laquelle des versions est la plus probable, selon la prépondérance des probabilités.

[20]

Pour déterminer quelle version est la plus probable, l’Office s’appuie sur l’arrêt Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. no 152 (CA. C.-B.) (QL); [1952] 2 D.L.R. 354, qui définit clairement le critère à appliquer quand une question de crédibilité est en litige. Le passage suivant tiré du paragraphe 11 de lʼarrêt Faryna c. Chorny énonce le critère à appliquer :

[traduction]

[...] Le critère à appliquer consiste à faire un examen raisonnable de son récit afin de déterminer s’il est compatible avec les probabilités entourant les faits en l’espèce. Pour résumer, le véritable critère à appliquer pour confirmer la véracité des déclarations d’un témoin dans une affaire donnée consiste à examiner la compatibilité de ces déclarations avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et sensée peut d’emblée reconnaître comme étant raisonnables dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition de témoins à l’esprit alerte, sûrs d’eux‑mêmes et expérimentés, ainsi que de ces personnes astucieuses qui s’y entendent en matière de demi-mensonge et s’appuient sur une longue et fructueuse expérience dans l’art de l’exagération habile et l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. [...]

[21]

L’Office conclut que M. de Mello a fourni une version des faits cohérente concernant ce qui a pu se passer. Il est plausible que, durant les distractions qui pourraient être attribuables au processus d’embarquement, notamment lorsque les passagers cherchent leur siège et placent leurs bagages dans les compartiments de rangement supérieurs, un membre d’équipage ait pris le bagage de M. de Mello et ait omis de lui remettre une quelconque preuve que son bagage avait été enregistré. Le défaut apparent de M. de Mello de demander une telle preuve pourrait simplement découler du fait qu’il croyait que le membre d’équipage de Jet Airways savait ce qu’il faisait, et qu’il n’était pas nécessaire de prendre note de son nom ni d’insister pour obtenir un reçu.

[22]

Jet Airways n’a, semble‑t‑il, fait aucun effort pour prouver son affirmation selon laquelle le bagage de M. de Mello n’a pas été remis à un membre du personnel de Jet Airways. À cet égard, Jet Airways n’a fourni aucune preuve à l’Office, par exemple des déclarations de l’équipage du vol à bord duquel se trouvait M. de Mello, une confirmation à savoir si le vol était plein, ou une preuve que le bagage a été retiré de la cabine de l’aéronef puis placé dans la soute de l’aéronef. Jet Airways affirme qu’elle a cherché le bagage de M. de Mello à divers endroits mais, comme M. de Mello le souligne, Jet Airways n’a fourni aucune preuve en ce sens.

[23]

L’Office est d’avis que la version des faits de M. de Mello est cohérente et convaincante. Jet Airways n’a fourni aucune preuve convaincante, par exemple des déclarations de l’équipage, pour soutenir sa position selon laquelle les membres d’équipage n’auraient pas pris le bagage de M. de Mello. L’Office conclut que la version des faits de M. de Mello est la plus probable et considère comme un fait établi que Jet Airways a perdu le bagage de M. de Mello.

[24]

La règle C55(C)(18) du tarif prévoit, en partie, que Jet Airways est responsable du dommage survenu en cas de perte de bagages enregistrés. L’Office conclut que M. de Mello s’est acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’en refusant d’assumer sa responsabilité conformément à son tarif, Jet Airways n’a pas correctement appliqué la règle C55(C)(18) de son tarif, comme l’exige le paragraphe 110(4) du RTA.

QUESTION 2 : SI JET AIRWAYS N’A PAS CORRECTEMENT APPLIQUÉ LA RÈGLE C55(C)(18) DE SON TARIF, QUEL RECOURS, LE CAS ÉCHÉANT, EST À LA DISPOSITION DE M. DE MELLO?

Analyse et constatations

[25]

L’article 113.1 du RTA prévoit ce qui suit :

Si un transporteur aérien n’applique pas les prix, taux, frais ou conditions de transport applicables au service international qu’il offre et figurant à son tarif, l’Office peut lui enjoindre :

a) de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées;

b) de verser des indemnités à quiconque pour toutes dépenses qu’il a supportées en raison de la non-application de ces prix, taux, frais ou conditions de transport.

[26]

La règle C55(C)(14) du tarif, qui a trait à la responsabilité en cas de perte de bagages, prévoit, en partie, que :

[traduction]

Jet Airways peut rejeter des réclamations si le passager ne fournit pas de preuve de la perte sous forme de reçus d’achat ou autres documents de preuve fiables. Il est donc précisé que Jet Airways ne sera pas responsable au‑delà des limites fixées, ou selon ce que prévoient les conventions et les lois applicables.

[27]

Lʼarticle 22(2) de la Convention établit la limite de responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard dans le transport de bagages à 1 131 droits de tirage spéciaux par passager, à moins que le passager n’ait déclaré une valeur excédentaire.

[28]

LʼOffice a indiqué ce qui suit dans la décision no 244-C-A-2014 (Cankech c. Brussels Airlines N.V./S.A. exerçant son activité sous le nom de Brussels Airlines) :

M. Cankech n’a pas fourni de reçus d’achat pour justifier ses pertes. Brussels Airlines ne remet pas en question la valeur de la perte réclamée par M. Cankech. Dans la décision no 308-C-A-2010 (MacGillivray c. Cubana), l’Office a conclu qu’il était déraisonnable d’exiger une preuve, comme des reçus d’achat, car la demanderesse pourrait ne plus les avoir en sa possession. Selon cette décision, d’autres façons pourraient aider à déterminer dans certains cas la validité d’une réclamation, par exemple une déclaration sous serment, une déclaration ou le caractère raisonnable et inhérent de la réclamation. De plus, l’article 22(2) de la Convention de Montréal n’exige pas la présentation d’une preuve de la perte sous forme de reçus d’achat. L’Office conclut que la valeur des articles perdus énoncée dans la plainte de M. Cankech est acceptable dans les circonstances.

[29]

Dans cette décision, l’Office a indiqué que les reçus n’étaient pas requis, mais que d’autres formes de preuve seraient acceptables pour prouver le montant de la perte. M. de Mello n’a pas fourni de preuve qui permettrait à l’Office de quantifier sa perte. En effet, dans sa demande, M. de Mello affirme qu’il ne veut pas que Jet Airways donne une valeur à son bagage, préférant demander un remboursement d’un montant équivalent à la valeur de son billet de retour, ce qui, selon lui, est plus facile à quantifier. L’Office est d’avis que le recours approprié dans les circonstances serait d’indemniser M. de Mello pour sa perte, comme le prévoit le RTA. Toutefois, en l’absence de toute déclaration de la valeur des articles perdus ou de preuve de leur valeur, l’Office n’est pas en mesure d’enjoindre à Jet Airways de verser une indemnisation.

[30]

Compte tenu de ce qui précède, l’Office conclut que le défaut de M. de Mello de fournir des renseignements concernant la valeur de son bagage et de son contenu est fatal à sa demande d’indemnisation.

CONCLUSION

[31] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que Jet Airways a contrevenu au paragraphe 110(4) du RTA en n’appliquant pas la règle C55(C)(18) de son tarif. Comme M. de Mello n’a pas fourni de preuve de sa perte et ne l’a pas quantifiée, rien ne permet à l’Office d’enjoindre à Jet Airways d’indemniser M. de Mello.

Membre(s)

William G. McMurray
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