Décision n° 345-AT-A-2016
DEMANDE présentée par Bruce Kruger contre Air Canada, en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée (LTC), concernant les difficultés rencontrées relativement à son besoin de siège particulier pour un voyage qu’il a réservé entre Toronto (Ontario), Canada et les Bermudes.
INTRODUCTION
[1] Bruce Kruger a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office), en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, contre Air Canada concernant les difficultés rencontrées relativement à son besoin de siège particulier pour un voyage qu’il a réservé entre Toronto et les Bermudes.
CONTEXTE
[2] Le 21 octobre 2016, lʼOffice a émis la 321-AT-A-2016">décision no 321-AT-A-2016 (décision de 2016) en ce qui a trait à une demande présentée par Bruce Kruger contre Lufthansa concernant les difficultés rencontrées relativement à son besoin de siège particulier lors de son voyage entre Toronto et Vienne, Autriche.
[3] L’Office a conclu que M. Kruger est une personne ayant une déficience en raison de son état de stress post-traumatique (ESPT) grave dont la principale invalidité est une hypervigilance invalidante, accompagnée de crises de panique graves. L’Office a également convenu que les besoins de M. Kruger liés à sa déficience ont trait à l’attribution d’un siège particulier qui lui permet de rester le dos au mur dans tous les espaces publics, y compris dans un aéronef.
QUESTIONS
[4] L’Office se penchera sur les questions suivantes :
- M. Kruger est-il une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC?
- La politique d’Air Canada concernant l’attribution de sièges particuliers à des personnes ayant une déficience dans le cadre de demandes faites plus de 48 heures avant le départ, et le manquement présumé par Air Canada de confirmer l’attribution de sièges particuliers à la demande de M. Kruger pour son vol à l’arrivée, constituent-ils des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de M. Kruger? Le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises?
- La manière dont M. Kruger allègue avoir été traité par un ou des agents de bord d’Air Canada, une fois à son siège à bord de son vol de départ, et la communication, à l’équipage, des renseignements concernant sa déficience, constituent-ils des obstacles abusifs aux possibilités de déplacement de M. Kruger? Le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être prises?
La loi
[5] Lorsqu’il doit statuer sur une demande en vertu du paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office applique une procédure particulière en trois temps pour déterminer s’il y a eu obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne ayant une déficience. L’Office doit déterminer :
- si la personne qui est l’auteur de la demande a une déficience aux fins de la LTC;
- si la personne a rencontré un obstacle du fait qu’on ne lui a pas fourni un accommodement approprié pour répondre aux besoins liés à sa déficience;
- que l’obstacle est « abusif ». Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services de transport ne puisse prouver qu’il y a des contraintes qui rendraient l’élimination de l’obstacle déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte qu’il ne peut pas fournir l’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.
QUESTION 1 : M. KRUGER EST-IL UNE PERSONNE AYANT UNE DÉFICIENCE AU SENS DE LA PARTIE V DE LA LTC?
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’une déficience
[6] Bien qu’il existe des cas où la déficience est évidente (p. ex. une personne qui se déplace en fauteuil roulant), il y en a d’autres où des éléments de preuve supplémentaires sont nécessaires pour établir à la fois l’existence d’une déficience et le besoin d’accommodement. Dans pareils cas, l’Office peut avoir recours à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), un instrument mondialement reconnu de classification normalisée du fonctionnement et des handicaps en lien avec des problèmes de santé, à d’autres publications de l’OMS, ou à de la documentation médicale.
Le cas présent
[7] Dans un certificat médical du mois d’août 2015, le médecin de M. Kruger indique que M. Kruger présente un ESPT dont le principal symptôme incapacitant est une extrême hypervigilance. Son médecin recommande donc qu’il évite une importante détresse, et qu’il ne soit pas assis à un endroit où une personne pourrait passer derrière lui.
[8] L’Office a conclu, dans la 252-AT-A-2014">décision no 252-AT-A-2014, que M. Kruger a une invalidité et se heurte à une limitation d’activité et à une restriction de participation dans le contexte de voyage dans le réseau de transport fédéral en raison de son ESPT. Ces conclusions sont soutenues par le récent certificat médical déposé par M. Kruger. Air Canada ne remet pas en question le fait que M. Kruger soit une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC en raison de son ESPT.
[9] L’Office conclut que M. Kruger est une personne ayant une déficience au sens de la partie V de la LTC en raison de son ESPT.
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle
[10] Les fournisseurs de services ont l’obligation d’offrir un accommodement aux personnes ayant une déficience. Une personne ayant une déficience rencontre un obstacle à ses possibilités de déplacement si elle démontre qu’elle a besoin d’un accommodement qu’on ne lui a pas fourni, ce qui revient à la priver de l’égalité d’accès aux services accessibles aux autres passagers dans le réseau de transport fédéral.
[11] Un service ou une mesure dont le but est de répondre aux besoins liés à la déficience d’une personne est défini comme étant un « accommodement approprié ». S’il est déterminé que la personne a bénéficié d’un accommodement qui a répondu à ses besoins liés à sa déficience, il est alors impossible de prétendre qu’elle a rencontré un obstacle.
Démarche de l’Office pour conclure à l’existence d’un obstacle abusif
[12] Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services puisse justifier son existence, en prouvant qu’il ne peut ni fournir le service nécessaire pour répondre aux besoins de la personne liés à sa déficience, ni aucune autre forme d’accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive. Le critère que doit respecter un fournisseur de services pour justifier l’existence d’un obstacle comporte trois éléments. Le fournisseur de services doit prouver :
- que la source de l’obstacle est rationnellement liée à la fourniture des services de transport;
- que la source de l’obstacle a été adoptée selon la conviction honnête et de bonne foi qu’elle était nécessaire pour fournir les services de transport;
- qu’il ne peut fournir aucun accommodement sans se voir imposer une contrainte excessive.
QUESTION 2 : LA POLITIQUE D'AIR CANADA CONCERNANT L'ATTRIBUTION DE SIÈGES PARTICULIERS À DES PERSONNES AYANT UNE DÉFICIENCE DANS LE CADRE DE DEMANDES FAITES PLUS DE 48 HEURES AVANT LE DÉPART, ET LE MANQUEMENT PRÉSUMÉ PAR AIR CANADA DE CONFIRMER L'ATTRIBUTION DE SIÈGES PARTICULIERS À LA DEMANDE DE M. KRUGER POUR SON VOL À L'ARRIVÉE, CONSTITUENT-ILS DES OBSTACLES ABUSIFS AUX POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT DE M. KRUGER? LE CAS ÉCHÉANT, QUELLES MESURES CORRECTIVES DEVRAIENT ÊTRE PRISES?
Faits, éléments de preuve et présentations
Positions des parties
M. Kruger
[13] M. Kruger est préoccupé par la politique et les procédures d’Air Canada sur l’attribution de sièges et le déplacement des clients ayant une déficience (politique sur l’attribution de sièges) qui indiquent que les sièges qui ne font pas partie des « sièges accessibles alloués » ne sont pas assujettis à des déplacements de client, et il se demande si le siège dont il a besoin, c.-à-d. le siège côté hublot dans la dernière rangée, fait partie des « sièges accessibles alloués ». M. Kruger est d’avis que si les besoins liés à la déficience d’une personne limitent le choix d’un siège à un seul endroit, le siège dont la personne a besoin devrait être réservé, à condition que les documents d’un professionnel de la santé soit présentés, et ne devrait pas dépendre du fait qu’il fasse partie des « sièges accessibles alloués » d’Air Canada.
[14] M. Kruger fait valoir que l’argument d’Air Canada selon lequel un changement d’aéronef de dernière minute l’empêcherait d’attribuer à M. Kruger un siège plus de 24 heures avant le voyage est une excuse pour justifier son manquement à attribuer en temps opportun des sièges aux personnes ayant une déficience. M. Kruger fait valoir que dans le cas d’un changement d’aéronef, Air Canada devrait simplement consulter les renseignements qui figurent dans le dossier du système de contrôle des départs (DCS) ou la liste de renseignements sur les passagers pour vérifier si des passagers ont des besoins spéciaux à bord d’un vol. M. Kruger fait valoir que dans la plupart des cas, la configuration de l’aéronef ne change pas, de sorte qu’une attribution de siège faite assez tôt limiterait la nécessité de déplacer des passagers.
[15] M. Kruger accepte la position d’Air Canada selon laquelle il serait coûteux pour elle de changer son système de réservation, et elle ne pourrait pas le faire rapidement. Il laisse toutefois entendre qu’Air Canada devrait avoir la responsabilité de transférer manuellement la demande de services spéciaux (SSR) annexée à son dossier et qu’il ne lui en coûterait presque rien pour le faire.
[16] Plus particulièrement, en ce qui a trait à son propre voyage, M. Kruger a réservé en décembre 2014 son vol pour un voyage de Toronto aux Bermudes dont le départ était prévu le 21 avril 2015 et le retour le 26 avril 2015. M. Kruger affirme que dès qu’il a réservé ses vols, il a communiqué avec Air Canada pour réserver un siège côté hublot et dos au mur, et a communiqué tous ses renseignements sur sa déficience au service Meda d’Air Canada de vive voix et par écrit. M. Kruger a parlé avec Manon Gravel, gestionnaire de la conformité réglementaire et des relations avec la clientèle, qui lui a réservé le siège dont il avait besoin pour son vol de départ. Mme Gravel l’a toutefois informé qu’Air Canada ne pourrait pas lui garantir le siège dont il avait besoin pour son vol à l’arrivée jusqu’au jour précédant son départ, car elle est liée par une entente contractuelle avec le syndicat des membres d’équipage qui réserve les sièges de l’arrière d’un aéronef pour ses membres.
[17] En ce qui a trait à son vol à l’arrivée, M. Kruger affirme avoir reçu un courriel d’Air Canada l’informant qu’il pourrait réserver son vol à l’arrivée en ligne plutôt qu’à l’aéroport, mais il ne précise pas quand il a reçu ce courriel. Après avoir fait sa réservation en ligne, M. Kruger a remarqué que le système ne lui avait pas attribué le siège dont il avait besoin et il a communiqué avec le service Meda pour corriger la situation. Selon M. Kruger, l’agent d’Air Canada a d’abord répondu que M. Kruger n’avait pas donné suffisamment de temps à Air Canada pour apporter les changements nécessaires sur les billets, car il avait fait sa réservation seulement 18 minutes avant d’appeler, mais l’agent a finalement confirmé que le siège dont il avait besoin lui avait été réservé.
[18] M. Kruger fait valoir qu’il apporte avec lui une lettre de son psychiatre confirmant son besoin d’accommodement, et que même s’il devait recevoir une lettre à cet effet d’Air Canada, comme elle l’a proposé, le personnel d’Air Canada ne la lirait pas et ne la jugerait pas acceptable.
Air Canada
[19] Air Canada fait valoir que toutes les politiques et procédures pertinentes sont en place pour fournir un accommodement complet aux personnes ayant une déficience et qui ont besoin d’un siège particulier. La politique sur l’attribution de sièges d’Air Canada indique qu’elle attribuera au préalable des sièges accessibles aux passagers ayant une déficience si elle reçoit une demande 48 heures avant le départ de vols intérieurs et internationaux, et jusqu’à 24 heures avant les départs de vols transfrontaliers d’Air Canada. La politique sur l’attribution de sièges indique également qu’Air Canada fera de son mieux pour répondre aux demandes de sièges particuliers présentées dans un délai plus court. Si le siège demandé par la personne ayant une déficience n’est pas libre, le service des réservations d’Air Canada dirigera le passager au service Meda, qui pourra attribuer le siège demandé sans frais, ou déplacer d’autres passagers.
[20] En ce qui a trait au voyage de M. Kruger, Air Canada affirme qu’au moment de réserver ses billets, M. Kruger a communiqué avec le service Meda et son appel a été transféré à l’agent principal du service. Une note a été ajoutée à son dossier qui indiquait que le service Meda devait communiquer avec le service de gestion des voyages des clients concernant le choix de son siège à une date plus rapprochée de son départ. Une journée avant son vol, soit le 20 avril 2015, des sièges ont été attribués à M. Kruger et à son épouse, et le service Meda a inscrit dans son dossier passager la note suivante : « DO NOT UNSEAT MEDICAL », c.-à-d. ne pas déplacer – raisons médicales.
[21] Air Canada explique qu’il n’est pas possible de confirmer le siège de M. Kruger jusqu’à une date rapprochée du vol de départ, c.-à-d. après que le type d’aéronef a été confirmé, du fait que le siège dont il a besoin peut être situé à un endroit différent selon la configuration de l’aéronef. Selon Air Canada, si le siège qui répond le mieux aux besoins de M. Kruger liés à sa déficience est situé dans la dernière rangée, M. Kruger a la priorité sur ce siège, même s’il est habituellement réservé pour le repos de l’équipage si le vol n’est pas plein. Le service Meda communiquera avec le service de gestion des voyages des clients pour attribuer un siège à M. Kruger 24 heures avant le départ.
[22] Afin d’illustrer les différentes configurations des aéronefs et en quoi elles ont une incidence sur l’attribution d’un siège à M. Kruger, Air Canada donne l’exemple d’un Airbus A330-300 dans lequel la dernière rangée n’est pas devant les toilettes. Elle explique que dans ce cas, il faudrait que M. Kruger soit assis devant les toilettes au milieu de l’aéronef. Air Canada ajoute que si elle devait attribuer à M. Kruger un siège répondant à ses besoins liés à sa déficience à bord d’un Boeing 787-9, par exemple le siège 29K, et qu’il fallait changer l’aéronef pour un Boeing 767‑300ER, le siège qui lui serait attribué serait encore le 29K dans le Boeing 767‑300ER, mais il ne répondrait pas aux besoins de M. Kruger.
[23] Air Canada explique que les caractéristiques et la souplesse du système de réservation RESIII sont limitées comparativement à la technologie actuelle et ne permet pas un transfert automatisé d’une demande d’un passager ayant une déficience pour un siège avec des caractéristiques définies, par exemple « dernière rangée ». Air Canada envisage de remplacer le système RESIII, mais estime qu’il faudra encore de nombreuses années pour instaurer un nouveau système de réservation.
[24] Air Canada explique également que le système RESIII permet le transfert automatisé de codes approuvés de SSR de l’Association du transport aérien international (IATA) dans le dossier du DCS. En ce qui a trait aux autres demandes qui ne sont pas représentées par des codes standards de SSR de l’IATA, aucune fonctionnalité (comme une attribution de type de siège en particulier) ne peut être transférée; il sera seulement possible de transférer le champ de 46 caractères « RES SSR » vers le champ « DCS SSR » du passager.
[25] Air Canada affirme qu’en cas de changement d’aéronef, le système RESIII réattribue les sièges pour conserver autant que possible les normes identifiables de l’aéronef précédent et la numérotation des sièges. Elle indique toutefois qu’il n’y a pas de norme en ce moment pour tenir compte, par exemple, d’une demande de siège dans la dernière rangée.
[26] Air Canada fait valoir que pour demander une modification à ses procédures et à sa politique sur l’attribution de sièges pour un seul passager, [traduction] « particulièrement lorsque ce passager peut déjà voyager sans rencontrer d’obstacle important », cela se traduirait pour elle en un fardeau commercial excessif.
[27] Pour remédier à la situation dans le cas de M. Kruger, Air Canada a créé un dossier médical à long terme pour lui, qui détaille les procédures que les agents du service Meda doivent appliquer. D’abord, Air Canada explique que lorsque M. Kruger fait une réservation, il doit appeler ou envoyer un courriel au service Meda pour accéder au dossier et l’activer. M. Kruger doit également envoyer par courriel son numéro de réservation à l’agent principal du service Meda. Par la suite, 24 heures avant le départ, le service Meda communiquera avec le service de gestion des voyages des clients pour attribuer à M. Kruger le siège dont il a besoin. Air Canada ajoute qu’un message personnalisé SSR Meda a été créé et sera annexé au dossier du DCS de M. Kruger indiquant que sa demande de siège particulier a été approuvée et qu’il est autorisé à un préembarquement. Le dossier médical à long terme de M. Kruger renferme également une instruction pour le service Meda qui doit envoyer un courriel à l’équipe de la sécurité dans la cabine et des services de bord expliquant les besoins de siège de M. Kruger, pour veiller à ce que le personnel de bord ne le questionne pas et ne le déplace pas après qu’il sera à bord. De plus, Air Canada propose que son département juridique remette à M. Kruger une lettre qu’il pourra utiliser en cas de changement d’aéronef de dernière minute afin de [traduction] « lui éviter toute question ou difficulté potentielle qu’il pourrait rencontrer ».
[28] Air Canada affirme que cette mesure personnalisée fera en sorte que M. Kruger se verra attribuer un siège qui répond à ses besoins liés à sa déficience à bord de l’aéronef qui sera [traduction] « presque assurément utilisé pour le vol en question, à moins d’une substitution de dernière minute ».
Analyse et constatations
[29] La politique sur l’attribution de sièges d’Air Canada indique clairement que les besoins liés à la déficience d’une personne seront satisfaits lorsqu’une demande d’accommodement est présentée 24 heures avant un vol transfrontalier et 48 heures avant les vols intérieurs et internationaux. Dans le cas de M. Kruger, la demande a été présentée en décembre 2014 pour un vol prévu en avril 2015. Sans égard au préavis, Air Canada n’a pas été en mesure de confirmer le siège de M. Kruger avant la veille du départ de son vol.
[30] Air Canada affirme qu’il n’est pas possible de transférer automatiquement la demande d’accommodement de M. Kruger dans le cas où il faudrait changer de type d’aéronef. Air Canada fait valoir que ce type d’action exigerait un nouveau système de réservation, qui n’est pas attendu avant de nombreuses années.
[31] Le système de réservation actuel d’Air Canada transfère seulement les demandes d’accommodement ayant des codes standard de l’IATA. En ce qui a trait aux besoins de M. Kruger, Air Canada indique qu’il n’y a pas de codes standard pour indiquer qu’un passager doit être assis dans la dernière rangée; toutefois, Air Canada ne justifie pas pourquoi les renseignements propres aux besoins de M. Kruger ne peuvent pas être présentés en 46 caractères dans le champ « RES SSR », puis transférés dans le champ « DCS SSR » du passager. Le transfert de ces renseignements ne peut pas se faire automatiquement avec son système de réservation actuel, mais Air Canada a déjà indiqué qu’elle devait transférer manuellement certains renseignements en cas de changement d’aéronef, car la nouvelle attribution de sièges doit être vérifiée et manuellement rajustée, soit au niveau du contrôle des opérations à la porte d’embarquement, soit au moment de l’enregistrement automatisé. Le système RESIII réattribue les sièges pour maintenir les normes identifiables de l’aéronef précédent et la numérotation des sièges, mais Air Canada a déjà expliqué que même si des sièges portent le même numéro, ils ne seront pas nécessairement configurés de la même façon dans tous les aéronefs. On peut donc s’attendre à ce que plusieurs rajustements manuels soient nécessaires pour des SSR, autres que celle de M. Kruger. Air Canada n’a pas expliqué pourquoi un rajustement manuel en fonction de la configuration de l’aéronef de rechange ne peut pas être fait pour la SSR de M. Kruger, mais peut l’être pour les SSR d’autres passagers. Il est prudent de présumer qu’il est possible d’attribuer à M. Kruger un siège côté hublot et dos au mur dans tous les aéronefs, sachant qu’ils en ont tous au moins un, peu importe leur type et leur configuration.
[32] La solution personnalisée qu’a trouvée le service Meda d’Air Canada pour répondre aux besoins de siège particulier de M. Kruger impose à ce dernier la responsabilité de rappeler au personnel d’Air Canada ses besoins liés à sa déficience, et ne lui attribue ce siège que 24 heures avant le départ. Cette solution crée beaucoup d’incertitude quant à la capacité de M. Kruger à voyager comme prévu, ce qui doit fort probablement faire augmenter son niveau d’anxiété/de stress, qui constitue l’un des déclencheurs de son état de santé. En ce qui a trait à la proposition d’Air Canada de remettre une lettre à M. Kruger qu’il pourrait présenter au personnel d’Air Canada pour confirmer ses besoins liés à sa déficience et régler tout problème potentiel qu’il pourrait rencontrer, le résultat est le même : tant qu’il n’est pas dans l’aéronef, M. Kruger n’a pas l’assurance qu’on pourra répondre à ses besoins liés à sa déficience.
[33] Le manquement par Air Canada d’appliquer sa politique sur l’attribution de sièges et d’attribuer à M. Kruger le siège requis pour répondre à ses besoins liés à sa déficience lorsqu’il en a fait la demande en décembre 2014, qui a fait en sorte qu’il a dû attendre jusqu’à 24 heures avant le départ pour obtenir une confirmation qu’on répondrait à son besoin de siège particulier, constituent un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger.
[34] Air Canada fait valoir que si elle devait modifier sa politique et ses procédures pour un seul passager, la mesure lui imposerait une contrainte excessive. Toutefois, la politique elle-même, lorsqu’elle est appliquée correctement, permet une confirmation des besoins de siège particulier avant le voyage. En ce qui a trait aux procédures, Air Canada les a déjà modifiées pour créer une mesure personnalisée afin de veiller à ce que le service Meda réponde aux besoins de siège particulier de M. Kruger.
[35] Air Canada n’a pas démontré qu’une contrainte excessive l’aurait empêchée d’appliquer sa politique et ses procédures et de confirmer le siège de M. Kruger lorsqu’il a communiqué avec Air Canada en décembre 2014. Comme Air Canada n’a pas justifié l’existence de l’obstacle, l’Office conclut que l’obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger est abusif.
QUESTION 3 : LA MANIÈRE DONT M. KRUGER ALLÈGUE AVOIR ÉTÉ TRAITÉ PAR UN OU DES AGENTS DE BORD D'AIR CANADA, UNE FOIS À SON SIÈGE À BORD DE SON VOL DE DÉPART, ET LA COMMUNICATION, À L'ÉQUIPAGE, DES RENSEIGNEMENTS CONCERNANT SA DÉFICIENCE, CONSTITUENT-ILS DES OBSTACLES ABUSIF AUX POSSIBILITÉS DE DÉPLACEMENT DE M. KRUGER? LE CAS ÉCHÉANT, QUELLES MESURES CORRECTIVES DEVRAIENT ÊTRE PRISES?
Faits, éléments de preuve et présentations
Positions des parties
M. Kruger
[36] M. Kruger affirme qu’avant le décollage le 21 avril 2015, l’agente de bord d’Air Canada, Mme Gaetan, l’a d’abord avisé fermement que lui et son épouse ne pouvaient pas rester dans ces sièges, car ils étaient réservés aux membres de l’équipage seulement. Mme Gaetan a demandé à M. Kruger et à son épouse d’aller s’asseoir dans des sièges libres vers l’avant. Après que M. Kruger a indiqué qu’ils étaient assis dans les sièges qui leur avaient été attribués, Mme Gaetan a demandé à voir leurs cartes d’embarquement, les a vérifiées et a continué d’insister pour que M. Kruger et son épouse changent de sièges.
[37] M. Kruger a ensuite informé Mme Gaetan qu’il avait besoin de ce siège attribué pour des raisons médicales. M. Kruger indique que Mme Gaetan lui a posé des questions, devant les autres passagers, à savoir quel état de santé pourrait nécessiter qu’il s’assoie dans la dernière rangée. M. Kruger a expliqué son état de santé et a répété qu’il ne changerait pas de siège. Selon M. Kruger, Mme Gaetan a sèchement répondu [traduction] : « nous verrons bien ». M. Kruger fait valoir que Mme Gaetan a semblé généralement irritée de son refus à changer de sièges.
[38] M. Kruger affirme que la directrice des services de vol, Mme Lydia Basta, est revenue et s’est excusée pour le désagrément, rassurant M. Kruger que lui et son épouse n’auraient pas à changer de sièges. Néanmoins, M. Kruger affirme qu’il a dû prendre des médicaments pour se calmer après cet incident. Il ajoute qu’il n’aurait pas eu à dévoiler son état de santé devant d’autres passagers et que l’équipage aurait dû être informé de ses besoins liés à sa déficience compte tenu de la note inscrite à son dossier passager « DO NOT UNSEAT MEDICAL », c.‑à‑d. ne pas déplacer – raisons médicales.
Air Canada
[39] Air Canada explique qu’une SSR dans le dossier du passager est annexée au dossier du DCS du passager, que les agents de l’aéroport peuvent la voir, et qu’elle figure également sur la liste de renseignements sur les passagers, l’équivalent du manifeste de vol, auquel le personnel de bord a aussi accès. De plus, s’il faut faire appel à un processus spécial ou à un traitement particulier de la question, le service Meda doit envoyer un courriel sur les détails des vols des passagers à l’équipe de la sécurité dans la cabine qui est chargée de communiquer avec les services de bord pour veiller à ce que le personnel de bord soit avisé.
[40] En ce qui a trait au vol de départ de M. Kruger, Mme Gaetan affirme que même si elle ne se rappelle pas de la date exacte du vol, tout indique, et elle croit vraiment, qu’elle était en poste en tant qu’agente de bord. Elle ajoute qu’outre la date exacte du vol, [traduction] « elle se souvient assez bien de ses faits et gestes lors de ces événements ».
[41] Mme Gaetan affirme que lorsqu’elle a remarqué que des passagers étaient assis dans la dernière rangée de l’aéronef, elle a présumé que M. Kruger et son épouse avaient mal lu leurs cartes d’embarquement, et leur a poliment demandé de les voir. Elle explique que, comme le vol n’était pas plein, les sièges en question auraient normalement été réservés aux membres de l’équipage et n’auraient pas été attribués à des passagers. Mme Gaetan ajoute qu’elle a ensuite été informée que ces sièges avaient été attribués à M. Kruger pour des raisons médicales, auquel moment elle l’a rassuré qu’il pouvait rester assis à cet endroit. Mme Gaetan affirme avoir transmis verbalement aux autres membres de l’équipage les raisons pour lesquelles ces sièges étaient occupés.
[42] La directrice des services de vol d’Air Canada, Lydia Basta, affirme que la situation médicale de M. Kruger n’était pas expliquée dans le manifeste de vol qui, habituellement, donne aux agents de bord les renseignements sur les besoins d’accommodement de certains passagers. Mme Basta dit avoir été informée par Mme Gaetan des besoins de siège particulier de M. Kruger et avoir aussi confirmé auprès des agents à la porte d’embarquement que, pour des raisons médicales, M. Kruger avait besoin d’un siège dans la dernière rangée de l’aéronef. Mme Basta ajoute qu’elle a ensuite rassuré M. Kruger qu’il pouvait rester dans son siège, puis a confirmé auprès de l’équipage que M. Kruger devait rester dans ce siège particulier.
[43] Air Canada affirme que, pour améliorer l’expérience de voyage de M. Kruger à l’avenir, le dossier médical à long terme créé pour lui renferme maintenant aussi une SSR Meda personnalisée indiquant qu’un siège particulier et le préembarquement sont approuvés pour M. Kruger, donnant comme instruction au service Meda d’envoyer un courriel à l’équipe de la sécurité dans la cabine et des services de bord concernant ses besoins de siège particulier, pour veiller à ce qu’il ne soit pas questionné ou déplacé par le personnel d’Air Canada.
Analyse et constatations
[44] Même si M. Kruger a appelé des mois à l’avance de son vol et qu’il est écrit dans son dossier passager « DO NOT UNSEAT MEDICAL » (ne pas déplacer – raisons médicales), les besoins de M. Kruger liés à sa déficience n’ont pas été indiqués dans le manifeste de vol. Contrairement aux procédures d’Air Canada, rien n’indique que le service Meda a envoyé un courriel à l’équipe de la sécurité de la cabine informant celle des services de bord des besoins de M. Kruger liés à sa déficience. Air Canada ne donne aucune justification expliquant pourquoi les renseignements de M. Kruger concernant sa déficience n’ont pas été transmis conformément à sa politique et à ses procédures.
[45] Comme les preuves des parties concernant la manière dont M. Kruger a été traité par les agents de bord d’Air Canada sont contradictoires, l’Office doit décider si M. Kruger a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir sa position et si ces éléments de preuve ont plus de poids que ceux opposés présentés par Air Canada.
[46] D’un côté, M. Kruger décrit en détail l’incident, y compris les noms des employés en cause et des précisions sur ce qui a été discuté. De l’autre côté, Mme Gaetan reste vague, notamment à savoir qui l’aurait informée de la déficience de M. Kruger lorsqu’elle affirme avoir été « mise au courant » que ces sièges avaient été attribués à M. Kruger pour des raisons médicales, sans préciser qui aurait fourni ces renseignements. Cela joue en faveur de l’affirmation de M. Kruger selon laquelle c’est lui qui a informé Mme Gaetan de sa déficience après qu’elle l’a questionné à ce sujet. Ces questions n’auraient pas dû être posées, et surtout pas devant d’autres passagers. Après que M. Kruger a montré sa carte d’embarquement, Mme Gaetan aurait dû reconnaître que M. Kruger était bien dans le siège qui lui avait été attribué, et ne pas remettre davantage en question le siège attribué, et encore moins sa déficience. Si un doute subsistait, Mme Gaetan aurait dû prendre d’autres moyens pour confirmer l’attribution des sièges.
[47] Parce que le personnel d’Air Canada n’a pas communiqué efficacement les renseignements de M. Kruger concernant sa déficience, les agents de bord d’Air Canada n’ont pas géré correctement la situation. L’Office conclut que cela constitue un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger.
[48] Air Canada n’a pas présenté de preuves de contraintes qui l’auraient empêchée d’appliquer ses procédures et de transmettre à son personnel les renseignements sur les besoins de M. Kruger liés à sa déficience. Comme Air Canada n’a pas justifié l’existence de l’obstacle, l’Office conclut que l’obstacle aux possibilités de déplacement de M. Kruger est abusif.
ORDONNANCE
[49] L’Office conclut que les aspects suivants constituent des obstacles abusifs dans le cas présent :
- Le manquement, par Air Canada, d’appliquer sa politique sur l’attribution de sièges, et d’attribuer à M. Kruger le siège répondant à ses besoins liés à sa déficience lorsqu’il en a fait la demande en décembre 2014, a fait en sorte qu’il a dû attendre seulement 24 heures avant le départ pour obtenir une confirmation de son besoin de siège particulier.
- L’inefficacité de la communication des renseignements de M. Kruger concernant sa déficience, ce qui a fait en sorte que les agents de bord d’Air Canada n’ont pas géré correctement la situation.
[50] Par conséquent, l’Office ordonne à Air Canada de prendre les mesures suivantes :
- Veiller à ce que son personnel applique correctement, et en tout temps, sa politique et ses procédures sur l’attribution de sièges pour rassurer M. Kruger que lorsqu’il communiquera avec Air Canada plus de 24 heures avant son départ, elle répondra à ses besoins liés à sa déficience.
- Veiller à ce que son personnel applique correctement, et en tout temps, sa politique et ses procédures sur la communication des besoins d’une personne liés à sa déficience au personnel de bord, notamment la nécessité que les manifestes de vol informent clairement le personnel de bord des cas de passagers qui se sont vu attribuer des sièges particuliers pour répondre à leurs besoins liés à leur déficience.
- Confirmer que, une fois mis à jour, le système de réservation d’Air Canada réattribuera automatiquement les sièges et transférera les renseignements sur les besoins des passagers liés à leur déficience, y compris tout besoin de siège particulier, en cas de changement de type d’aéronef. Dans l’intervalle, le personnel d’Air Canada doit communiquer avec M. Kruger et tout autre voyageur ayant besoin d’un siège particulier en raison de sa déficience afin de discuter des dispositions en matière de sièges dans les cas où il y a un changement de type d’aéronef.
- Lorsque M. Kruger ou d’autres voyageurs ayant des besoins liés à leur déficience communiquent avec le service Meda, leur attribuer un identifiant ou un numéro de dossier permanent pour éviter qu’ils aient à présenter de nouveau leurs renseignements médicaux chaque fois qu’ils appellent ou font une réservation.
[51] Air Canada a jusqu’au 12 décembre 2016 pour démontrer, à la satisfaction de l’Office, qu’elle se conforme à cette ordonnance.
[52] En ce qui a trait au nouveau système de réservation, l’Office ordonne à Air Canada de lui rendre compte des progrès de ce projet (c.-à-d. le calendrier et l’échéancier de mise en œuvre) dans les 18 mois de cette décision, soit au plus tard le 14 mai 2018.
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