Décision n° 35-R-2009

le 6 février 2009

le 6 février 2009

DEMANDE présentée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vue de déterminer si certaines de ses activités ferroviaires avec BNSF Railway Company dans la région de Winnipeg constituent une interconnexion aux fins de l'article 127 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.

Référence no T7360/08-1


Contexte

[1] La Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada (CN), BNSF Railway Company (BNSF) et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) possèdent chacune une infrastructure ferroviaire dans la région de Winnipeg. En outre, diverses ententes de droits de circulation permettent aux compagnies de chemin de fer d'accéder à des sections des lignes de chemin de fer les unes des autres.

[2] Le trafic de BNSF en provenance des États-Unis est échangé de BNSF à CN à la frontière canado-américaine. Conformément à un accord de remorquage, les wagons de BNSF sont ajoutés à un train de CN et sont transportés sur la subdivision Letellier de CN vers la gare de triage de Fort Rouge de CN. BNSF échange une partie de ce trafic avec CP et traite une partie du transport local lui-même. Le trafic de BNSF est également échangé au-delà de la région de Winnipeg avec CN. Une partie de ce trafic est destiné à Paterson Grain (Paterson), une division de Paterson Globalfoods Inc., qui a des installations à Lilyfield, Manitoba.

[3] CN a accès aux installations de Paterson dans le cadre d'une entente de droits de circulation avec CP; Paterson est également desservie directement par CP par des épis partant de la subdivision Carberry de CP.

[4] CN indique qu'avant le dépôt de cette demande, elle a communiqué avec BNSF au sujet du traitement du trafic de Paterson dans le cadre d'un accord commercial.

[5] CN fait valoir que le transport ferroviaire destiné à Paterson ne répond pas aux conditions prescrites pour constituer une interconnexion au sens de la Loi sur les transports au Canada (LTC). Par conséquent, tout arrangement entre CN et BNSF pour assurer le trafic de BNSF vers Paterson doit faire l'objet de négociations commerciales. BNSF déclare que la livraison de son trafic par CN à Paterson devrait être assujettie aux règles et prix d'interconnexion prévus dans le Règlement sur l'interconnexion du trafic ferroviaire, DORS/88-41, modifié (Règlement sur l'interconnexion).

Question

[6] Certaines activités ferroviaires entre BNSF et CN dans la région de Winnipeg constituent-elles une interconnexion aux fins de l'article 127 de la LTC ?

Observations préliminaires

[7] Le 27 octobre 2008, Paterson et la Commission canadienne du blé (CCB) ont demandé la qualité d'intervenant afin de s'opposer à la demande de CN. Le 5 novembre 2008, l'honorable Ron Lemieux, ministre des Infrastructures et des Transports du gouvernement du Manitoba (gouvernement du Manitoba), a déposé un mémoire pour s'opposer également à la demande de CN.

[8] Le 31 octobre 2008, Paterson et CCB se sont vu accorder la qualité d'intervenant par l'Office des transports du Canada (Office). Le gouvernement du Manitoba a reçu la qualité d'intervenant le 7 novembre 2008.

[9] Dans sa réponse à la demande de CN, BNSF a déposé des commentaires à propos des prix d'interconnexion, faisant valoir que puisque le trafic de Paterson peut se déplacer en rame de wagons, CN ne doit exiger que le prix d'interconnexion sur les rames de wagons et qu'il serait inapproprié de permettre à CN d'exiger le tarif envoi d'un wagon. CN a indiqué qu'une discussion portant sur les prix d'interconnexion n'était pas pertinente ni conséquente à sa demande. BNSF a demandé l'autorisation de présenter d'autres commentaires à propos de l'applicabilité du prix d'interconnexion sur les rames de wagons.

[10] Dans la décision LET-R-181-2008 du 12 décembre 2008, l'Office a rejeté la demande de BNSF. L'Office a conclu que BNSF n'avait pas réussi à convaincre l'Office de la pertinence de la question des tarifs dans le cadre de la demande voulant que certaines activités ferroviaires entre CN et BNSF dans la région de Winnipeg constituent une interconnexion conformément à l'article 127 de la LTC.

Faits, positions des parties et arguments

CN

[11] CN déclare qu'en 1912, les prédécesseurs de CN et de BNSF ont conclu une entente conférant à BNSF des droits de circulation sur la subdivision Letellier de CN à partir de la frontière canado-américaine jusqu'à Portage Junction à Winnipeg, et de Portage Junction jusqu'à un point de la ligne de CN à l'ouest de Portage Junction où BNSF pouvait établir une correspondance (entente de droits de circulation de 1912). En 1913, CN et BNSF ont conclu une autre entente pour la construction de deux voies à Portage Junction où les wagons pourraient être transférés entre les deux compagnies (entente de voies de transbordement de 1913). BNSF a exploité ses propres trains sur la subdivision Letellier de CN jusqu'en 19831.

[12] En 1983, aux termes d'un accord de remorquage (accord de remorquage), un « train en commun » a été établi. Selon cet accord, CN transporte le trafic de BNSF sur ses trains avec son propre trafic de la frontière canado-américaine jusqu'à Portage Junction. Le trafic de BNSF assuré sur le convoi en commun se termine à la gare de triage F de CN sur les deux voies construites conformément à l'entente de voies de transbordement de 1913. La première voie a été construite pour le transport de trafic à BNSF. La seconde voie a été construite pour échanger le trafic de BNSF à CN.

[13] À la suite de la reconfiguration des voies en 2003, la gare de triage F a été éliminée. Actuellement, le transfert du trafic de BNSF est effectué dans la gare de triage de Fort Rouge. BNSF indique que la gare de triage de Fort Rouge se situe à environ 560 mètres de la gare de triage F. Selon CN, le trafic en direction nord de BNSF sur le train en commun est transporté vers la gare de triage de Fort Rouge où il est pris par BNSF. Une partie du trafic est ensuite échangée par BNSF avec CP et d'autres parties du trafic sont traitées localement par BNSF pour réexpédition. L'autre partie du trafic est échangée au-delà de la région de Winnipeg avec CN. Les wagons de Paterson ne sont pas retirés du train en commun mais sont échangés électroniquement de BNSF à CN, qui les livre aux installations de Paterson en utilisant les voies de CP sur paiement d'un tarif commercial par wagon convenu.

[14] CN fait valoir que l'acheminement du trafic de BNSF aux installations de Paterson n'est pas assujetti aux dispositions d'interconnexion réglementées de la LTC. CN soutient que, pour que l'article 127 de la LTC s'applique, trois conditions cumulatives doivent être réunies. Premièrement, il doit y avoir un « lieu de correspondance » au sens de l'article 111 de la LTC. Deuxièmement, le point d'origine ou de destination du trafic doit se trouver dans un rayon de 30 kilomètres du lieu de correspondance. Finalement, le transporteur qui assure l'interconnexion doit être un « transporteur local » au sens de l'article 111 de la LTC.

[15] CN ne conteste pas que les installations de Paterson à Lilyfield se trouve dans un rayon de 30 kilomètres de la gare de triage de Fort Rouge. CN ne nie pas non plus qu'un lieu de correspondance puisse exister entre CN et BNSF à Winnipeg. Par contre, CN soutient que la gare de triage de Fort Rouge n'est pas un lieu de correspondance au sens de l'article 111 de la LTC.

[16] À l'examen de la loi applicable, CN fait remarquer que l'article 111 définit un « lieu de correspondance » ainsi : « Lieu où la ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d'une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu'à livraison ou réception par cette autre compagnie. » CN fait valoir que les deux éléments physiques renvoient au même endroit. CN déclare que le fait que BNSF demande l'accès à la gare de triage de Fort Rouge en invoquant des droits de circulation sur une distance de 1,91 milles montre que la cour de triage de Fort Rouge ne répond pas à la définition d'un lieu de correspondance. La gare de triage de Fort Rouge n'est pas un lieu où les lignes des deux compagnies sont raccordées. CN fait observer qu'une décision antérieure de l'Office national des transports, à savoir la décision no 439-R-19892 (décision Celgar) a conclu que le fait d'accéder à un lieu de correspondance en invoquant des droits de circulation ne répondait pas à la condition de l'existence d'un lieu de correspondance selon la définition de l'article 111 de la LTC. Par conséquent, CN fait valoir que BNSF ne possède pas une « ligne de chemin de fer » aux fins de l'article 127 de la LTC.

[17] CN fait également remarquer que même si les compagnies de chemin de fer peuvent s'entendre pour raccorder des wagons à un endroit autre que là où leurs lignes respectives se croisent, cela se fait soit pour des raisons commerciales soit par souci d'efficacité des opérations, mais cela n'en fait pas des « lieux de correspondance » aux fins des articles 111 et 127 de la LTC.

[18] CN indique que même si Paterson soutient qu'elle a droit à une interconnexion réglementée en vertu de l'entente de voies de transbordement de 1913, cette entente a été conclue avant l'adoption des dispositions d'interconnexion réglementées actuelles et ne pouvait donc pas avoir envisagé l'offre de services d'interconnexion à des tarifs réglementés. De plus, l'entente pouvant être résiliée par l'une ou l'autre partie, s'il constitue le droit à l'interconnexion réglementée, ce droit pourrait être éliminé par la clause de résiliation.

[19] CN ajoute que l'interconnexion réglementée existe en vertu des articles 127 et 128 de la LTC et est donc un droit prévu par la loi dont elle peut se prévaloir indépendamment de tout contrat lorsque les conditions de ces articles sont remplies. De plus, CN soutient que les engagements pris pour assurer le service à Paterson au même tarif qu'un tarif d'interconnexion réglementé sont contractuels et non prévus par la loi, et que le recours de Paterson relève des tribunaux civils.

[20] CN indique qu'elle n'est pas un « transporteur local » selon la définition de l'article 111 de la LTC, qui est définit ainsi : « Compagnie de chemin de fer qui effectue du transport à destination ou à partir d'un lieu de correspondance à un point d'origine ou à un point de destination qu'elle dessert exclusivement. » CN affirme qu'il n'existe pas de lieu de correspondance de ce genre et que le trafic n'est pas acheminé sur un parcours continu comme en témoigne le fait que, pour accéder aux installations de Paterson, CN doit utiliser une partie des tronçons de la ligne de CP, à savoir la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer. CN affirme également qu'en l'absence d'un accord commercial avec CP, CN n'aurait pas accès aux installations de Paterson. Selon CN, il s'ensuit que l'existence de droits de circulation n'est pas suffisante pour créer un parcours continu.

[21] En outre, CN fait remarquer que Paterson n'est pas desservie exclusivement par CN, mais est directement desservie par CP. Elle n'est accessible par CN que par les droits de circulation sur les lignes de CP. CN fait valoir que l'assujettissement des droits d'interconnexion à l'existence d'accords ou à la discrétion des compagnies de chemin de fer serait contraire aux dispositions de la LTC.

[22] CN fait valoir également que l'Office a déjà déterminé où se trouve le lieu de correspondance de BNSF avec CN, soit près de St. James Junction et non à la gare de triage de Fort Rouge. CN fait remarquer que l'Office a pris cette décision lorsqu'il a modifié le certificat d'aptitude de BNSF en 2007.

[23] CN fait également remarquer que si l'Office conclut que les activités ferroviaires entre CN et BNSF ne s'agissent pas d'interconnexion, une interconnexion réglementée aux installations de Paterson continuera d'exister. CN indique que CP possède une ligne de chemin de fer qui dessert Paterson directement. Paterson continuerait d'avoir un accès direct à CP et à CN et il continuerait d'y avoir une interconnexion réglementée entre CP et BNSF au moyen d'une interconnexion de zone 3 entre CP et CN.

BNSF

[24] BNSF indique qu'elle dessert les clients de Winnipeg par un échange de trafic avec CN depuis 1913 et que depuis 1988, BNSF et CN ont interconnecté le trafic avec CN selon des tarifs d'interconnexion réglementés en vertu du Règlement sur l'interconnexion. BNSF ajoute qu'elle n'a pas eu de différend avec CN au sujet de l'admissibilité du trafic à des tarifs d'interconnexion réglementés à partir de la gare de triage de Fort Rouge jusqu'à il y a un an environ.

[25] BNSF ajoute que l'entente de droits de circulation de 1912, conjointement avec l'accord de remorquage, donne à BNSF les moyens de transporter son trafic vers ses propres voies ferrées et ses clients, et vers les voies de transfert à la gare de triage de Fort Rouge, à des fins d'échange et d'interconnexion en provenance et à destination de CN.

[26] BNSF fait remarquer que l'entente de voies de transbordement de 1913 prévoyait qu'il était dans l'intérêt des parties d'avoir un transfert des wagons de la ligne d'une compagnie vers la ligne de l'autre à Portage Junction. BNSF fait remarquer que conformément à l'entente, chaque compagnie de chemin de fer partageait la moitié des frais de construction, d'entretien et de réparation pour cette voie. L'entente prévoyait également que BNSF paie, sous forme de loyer annuel, un montant équivalent à la moitié de la valeur du terrain utilisé pour la voie de transfert. BNSF fait valoir que l'entente prévoyait aussi que les trains et les wagons de chaque compagnie utiliseraient la voie de transfert. Selon BNSF, une connexion physique existe entre BNSF et CN à l'ouest de la gare de triage de Fort Rouge et, par usage et accord, de 1913 à 2003, tout le trafic échangé entre BNSF et CN l'était aux voies de transfert connues sous le nom de gare de triage F. L'entente de voies de transbordement de 1913 permettait également à CN de modifier ou de changer l'emplacement ou la construction des voies de transfert, pour toute raison et à ses frais, si elle fournissait d'autres installations de transfert aussi commodes que possible. Depuis l'élimination de la gare de triage F par CN en 2003, cette fonction est assumée à la gare de triage de Fort Rouge.

[27] BNSF fait valoir qu'il existe deux autres ententes qui confirment l'existence de l'interconnexion : une modification à l'accord de remorquage entre CN et BNSF en 2006 et une entente de droits de circulation en 2006. BNSF a déposé ces deux ententes sous le sceau de la confidentialité. BNSF estime qu'en fonction de certaines clauses contenues dans ces accords, CN croyait qu'il existait une interconnexion réglementée entre elle-même et BNSF, sinon CN n'aurait pas accepté ces dispositions.

[28] BNSF maintient qu'il existe un lieu de correspondance au sens de la LTC avec CN à Winnipeg. Compte tenu des dispositions d'interconnexion pertinentes de la LTC, BNSF fait valoir que les termes de la loi doivent être lus et analysés en fonction de l'objet et de l'esprit de la loi. À cet égard, BNSF fait valoir que les dispositions d'interconnexion de la LTC visent à donner aux expéditeurs un accès concurrentiel à d'autres transporteurs à des prix connus, dans les limites de l'interconnexion.

[29] BNSF indique que l'interprétation étroite des dispositions d'interconnexion et des définitions pertinentes, qui ont pour effet d'exclure l'interconnexion, ne soutient pas cet objectif. L'utilisation du mot « lieu » pour décrire à la fois l'endroit où se produit le raccordement physique et les voies de garage dans la définition de « lieu de correspondance » exige nécessairement une large interprétation car il existe de nombreuses configurations des voies d'un lieu de correspondance. BNSF ajoute que bon nombre de configurations sont souvent motivées par l'aspect pratique pour les deux compagnies de chemin de fer en cause, comme c'est le cas pour le lieu de correspondance de BNSF et CN à Winnipeg.

[30] BNSF fait valoir que la décision Celgar confirme qu'il doit y avoir deux lignes de chemin de fer qui se connectent pour qu'existe un lieu de correspondance et qu'une compagnie de chemin de fer ne peut conclure qu'elle possède une « ligne de chemin de fer » simplement en faisant valoir un droit de circulation. Mais dans le cas présent, BNSF fait valoir qu'elle possède sa propre ligne de chemin de fer à Winnipeg qui se connecte avec la ligne de CN. De plus, BNSF renvoie au cas Pere Marquette Rwy Co. c. CPR3 pour appuyer sa position voulant qu'il est typique des activités ferroviaires que les locomotives et les trains d'une compagnie utilisent les lignes d'une autre compagnie de chemin de fer pour atteindre un lieu de correspondance. BNSF indique que ses trains parcourent la courte distance le long de la subdivision Rivers de CN pour rejoindre les voies de garage situées à la gare de triage F, une distance qui a été légèrement prolongée lorsque CN a déplacé la voie de garage à la gare de triage de Fort Rouge. BNSF fait observer que la réalité du secteur ferroviaire est que les voies de garage peuvent être, et sont, fréquemment situées à une certaine distance des lignes de correspondance.

[31] Quant à l'argument de CN selon lequel il doit y avoir un « transporteur local » selon la définition de la LTC pour que l'interconnexion s'applique, BNSF indique que la LTC ne contient pas ce genre d'exigence car le terme n'est pas utilisé dans les dispositions d'interconnexion de la LTC ni dans la définition de « lieu de correspondance ». « Transporteur local » est défini et utilisé seulement aux fins des dispositions de la LTC sur les prix de ligne concurrentiels. En outre, alors que CN indique que le trafic en question doit se déplacer sur un parcours continu, BNSF soutient que ni les articles de la LTC sur l'interconnexion ni le Règlement sur l'interconnexion n'exigent cela.

[32] BNSF indique qu'avant 2000, CN s'est servie de sa subdivision Oakpoint pour desservir Paterson directement. CN a par la suite conclu une entente de droits de circulation avec CP afin d'abandonner l'exploitation de parties de sa subdivision Oakpoint. L'entente de droits de circulation permettait à CN de continuer de desservir ses clients restants sur la subdivision Oakpoint, y compris Paterson. BNSF fait valoir que les clients de la subdivision Oakpoint dans les limites de l'interconnexion, y compris Paterson, avaient accès à l'interconnexion avant que CN ne décide de remplacer les droits de circulation de CP par un service direct sur la subdivision Oakpoint.

Paterson

[33] Paterson est la division des opérations chargée des grains de Paterson GlobalFoods Inc. Elle exploite 37 silos autorisés dans l'Ouest canadien. Paterson indique que BNSF livre du grain à partir du terminal de Lilyfield vers divers endroits des États-Unis et celui-ci est ensuite acheminé vers des destinations finales aux États-Unis et au Mexique. Paterson fait observer que conformément au Règlement sur l'interconnexion, à l'entente de droits de circulation de 1912 et à l'entente de voies de transbordement de 1913, BNSF et CN ont échangé pendant des années des wagons vides destinés au terminal de Lilyfield et des wagons chargés de grain du terminal de Lilyfield vers les États-Unis.

[34] Selon Paterson, en vertu de l'entente de voies de transbordement de 1913, CN et BNSF sont censées utiliser conjointement les voies sur le tronçon commun de la ligne partant d'Emerson, Manitoba et allant vers Portage Junction, maintenant la gare de triage de Fort Rouge à Portage Junction. Paterson soutient que l'accord d'utilisation conjointe va plus loin qu'une entente habituelle de droits de circulation. Cela a été accepté à l'avance et la voie a été construite pour un usage conjoint et pas seulement pour des droits de circulation.

[35] Paterson ajoute que les termes de cet accord sont clairs quant à l'intention des parties. Paterson fait valoir que tant CN que BNSF voulaient que l'entente de voies de transbordement de 1913 prévoie l'interconnexion des wagons au lieu de correspondance situé à Portage Junction, et les deux parties ont échangé des wagons à Portage Junction depuis 1912, même si l'emplacement exact du lieu de correspondance a changé au cours des années.

[36] Paterson fait valoir que l'exportation de marchandises du Manitoba est facilitée par les dispositions de ces ententes et par le Règlement sur l'interconnexion. Paterson affirme que les exportations seraient considérablement limitées et l'expédition concurrentielle par chemin de fer serait réduite de beaucoup ou éliminée si l'Office se prononçait en faveur de CN.

[37] Paterson fait valoir que CN ne peut pas nier que ses lignes de chemin de fer se raccordent à la ligne de BNSF à Winnipeg. En outre, alors que l'article 111 de la LTC définit un lieu de correspondance comme : « Lieu où la ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d'une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés[...] », des wagons ne peuvent pas être chargés ou garés au point de connexion réel entre deux lignes de chemin de fer. Une telle interprétation est déraisonnable et impossible. C'est un principe juridique établi que les termes d'une loi doivent être lus dans leur contexte et selon le sens grammatical et ordinaire en harmonie avec l'esprit et la lettre de la loi et les intentions du Parlement.

[38] Paterson fait remarquer que conformément aux pratiques de l'industrie, les wagons sont chargés ou des wagons vides sont garés dans des gares de triage ou des voies d'évitement proches du lieu de correspondance entre les lignes de chemin de fer, mais pas nécessairement au lieu de correspondance même entre les lignes.

[39] Paterson fait également observer qu'avant de commencer la planification et la construction de son terminal de Lilyfield, elle avait obtenu l'autorisation de CN afin d'accéder pleinement au service ferroviaire par l'intermédiaire de CN par une interconnexion avec BNSF. Paterson ajoute avoir investi plus de 17 millions de dollars en coûts de construction et de développement. Paterson affirme que le service fourni par CN en vertu du Règlement sur l'interconnexion fait partie intégrante de ses activités.

[40] Paterson indique également qu'avant l'achèvement du terminal de Lilyfield, CN l'a informée qu'elle envisageait d'abandonner l'exploitation de la subdivision Oakpoint, mais que CN continuerait de desservir le terminal de Lilyfield dans le cadre d'une entente avec CP en utilisant la subdivision Carberry de CP. Selon Paterson, CN a confirmé que les modalités convenues entre CN et CP assureraient à Paterson le service de CN de la même façon que celui convenu auparavant, y compris l'interconnexion avec BNSF, sauf que le service de CN serait dorénavant assuré via la subdivision Carberry de CP. Compte tenu de ces assurances, Paterson déclare qu'elle ne s'est pas opposée à l'abandon de la subdivision Oakpoint par CN.

[41] Paterson soutient qu'elle a également droit à une interconnexion réglementée aux termes du paragraphe 128(4) de la LTC. CN a abandonné l'exploitation de la subdivision Oakpoint et Paterson fait valoir que selon cet article, le tarif d'interconnexion en vigueur avant l'abandon continue de s'appliquer après, car cette mesure de protection a été adoptée par le Parlement lorsque les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale ont reçu l'autorisation d'abandonner des lignes sans une surveillance réglementaire.

[42] CN estime que l'interprétation par Paterson du paragraphe 128(4) de la LTC est erronée. CN indique que cette disposition maintient un droit déjà existant et n'en crée pas un nouveau. Comme l'interconnexion réglementée n'existait pas pour commencer, CN fait valoir qu'il n'y a rien pour maintenir le transfert après l'abandon de la ligne. D'autre part, le but du paragraphe 128(4) est de continuer de donner accès à l'interconnexion réglementée à une installation qui y a déjà accès lorsqu'elle se trouve sur la partie d'une ligne transférée à une compagnie de chemin de fer provinciale d'intérêt local. Finalement, CN soutient que ces dispositions s'appliquent à une ligne de chemin de fer qui a été transférée. L'exploitation de la subdivision Oakpoint a été interrompue et non transférée.

CCB

[43] CCB est une société dont le but est d'assurer la bonne commercialisation des grains cultivés dans l'Ouest canadien au niveau interprovincial et pour l'exportation. La mission de CCB consiste à commercialiser des produits et des services de qualité afin d'optimiser le rendement des producteurs de grains de l'Ouest canadien.

[44] CCB soutient que Winnipeg-Nord est le seul endroit au Canada d'où elle peut expédier des wagons de BNSF à la gare de CN et ce grâce à l'interconnexion.

[45] CCB adopte les arguments juridiques avancés par BNSF et Paterson dans leurs mémoires respectifs et fait remarquer que si CN obtenait gain de cause, ce serait au détriment de la concurrence dans le transport ferroviaire dans le sud du Manitoba et à Winnipeg en particulier.

[46] CCB fait valoir que l'accès aux wagons est vital pour le système de manutention et de transport du grain, une réalité que l'Office a reconnue. CCB fait observer que l'interconnexion est un des leviers concurrentiels dont disposent les expéditeurs pour déterminer le meilleur itinéraire et que, par sa demande, CN cherche à mettre fin à l'application des tarifs de l'interconnexion réglementée pour les expéditions à partir de Winnipeg-Nord.

[47] CCB conclut que l'on ne doit pas permettre à CN d'entraver la concurrence déjà établie par l'application de l'interconnexion réglementée au lieu de correspondance de Fort Rouge.

Le gouvernement du Manitoba

[48] Comme la demande de CN porte sur le service ferroviaire vers un point où il y a un seul expéditeur, le gouvernement du Manitoba demande à l'Office de tenir compte de l'incidence qu'aurait une décision en faveur de CN sur la capacité des autres expéditeurs situés près des lignes de CN dans la région de Winnipeg d'accéder à BNSF via l'interconnexion réglementée.

[49] Le gouvernement du Manitoba ajoute que l'interconnexion est reconnue comme un élément clé de la LTC pour stimuler un comportement concurrentiel entre les compagnies de chemins de fer de compétence fédérale et également pour établir des tarifs et des services ferroviaires justes et raisonnables. Le gouvernement du Manitoba demande instamment à l'Office d'aborder la demande de CN dans une perspective aussi large que possible.

Analyse et constatations

(A) Application de l'article 127 de la LTC et dispositions d'interconnexion connexes

[50] Il ressort des arguments des parties que CN n'a pas la même interprétation que BNSF et les intervenants de la portée de l'article 127 de la LTC et des conditions applicables à une conclusion voulant qu'un transport d'interconnexion est assujetti au Règlement sur l'interconnexion.

[51] La détermination de la portée de l'article 127 de la LTC repose sur un processus d'interprétation juridique d'une disposition en matière de compétence de la loi constitutive de l'Office, ainsi que sur une interprétation et une étude des dispositions d'interconnexion.

[52] La Cour Suprême du Canada dans Canada 3000 Inc. Re: Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), [2006] 1 R.C.S. 865, 2006 CSC 24 a énoncé l'approche à adopter pour l'interprétation d'une disposition législative :

La présente espèce est, de bout en bout, un exercice d'interprétation des lois, et les questions d'interprétation sont, comme toujours, étroitement liées au contexte. Le précepte suivant lequel une loi doit être interprétée en fonction du problème auquel elle est censée remédier remonte au seizième siècle au moins; voir Heydon's case (1584), 3 Co. Rep. 7a, 76 E.R. 637. Suivant une formulation plus moderne et plus exhaustive, on dit qu' [traduction] « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).

[53] L'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, dispose ce qui suit : « Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. »

(B) Dispositions législatives

[54] L'article 127 de la LTC prévoit :

127(1) Si une ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer, l'une ou l'autre de ces compagnies, une administration municipale ou tout intéressé peut demander à l'Office d'ordonner l'interconnexion.

(2) L'Office peut ordonner aux compagnies de fournir les installations convenables pour permettre l'interconnexion, d'une manière commode et dans les deux directions, à un lieu de correspondance, du trafic, entre les lignes de l'un ou l'autre chemin de fer et celles des autres compagnies de chemins de fer qui y sont raccordées.

(3) Si le point d'origine ou de destination d'un transport continu est situé dans un rayon de 30 kilomètres d'un lieu de correspondance, ou à la distance supérieure prévue par règlement, le transfert de trafic par une compagnie de chemin de fer à ce lieu de correspondance est subordonné au respect des règlements.

(4) Sur demande formée au titre du paragraphe (1), l'Office peut statuer que, dans un cas particulier où le point d'origine ou de destination du trafic est situé à plus de 30 kilomètres d'un lieu de correspondance, ou à la distance supérieure prévue par règlement, et où il est d'avis que, dans les circonstances, le point d'origine ou de destination est suffisamment près du lieu de correspondance, le point d'origine ou de destination, selon le cas, est réputé situé à l'intérieur de cette distance.

[55] L'article 111 de la LTC contient des définitions qui sont applicables à la Partie III, Section IV de la LTC où se trouvent les dispositions d'interconnexion. En ce qui concerne l'interconnexion, les termes « lieu de correspondance » et « interconnexion » sont définis ainsi :

« lieu de correspondance » Lieu où la ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d'une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu'à livraison ou réception par cette autre compagnie.

« interconnexion » Le transfert du trafic des lignes d'une compagnie de chemin de fer à celles d'une autre compagnie de chemin de fer conformément aux règlements d'application de l'article 128.

[56] De même, le Règlement sur l'interconnexion fixe les paramètres du transport d'interconnexion et définit des termes comme « transporteur de tête de ligne » ainsi : « Compagnie de chemin de fer qui fait l'interconnexion, à un lieu de correspondance, du trafic à destination ou en provenance d'une voie d'évitement. »

(C) La politique nationale des transports

[57] La pierre angulaire de la LTC est l'énoncé de la politique nationale des transports à l'article 5. Bien qu'il s'agisse essentiellement d'un préambule à la loi, il indique néanmoins que la LTC est promulguée dans le but d'atteindre les objectifs énoncés de la politique dans la mesure où ils sont pertinents aux sujets relevant de l'autorité législative du Parlement en matière de transport. L'article 5 de la LTC prévoit en partie ce qui suit :

Il est déclaré qu'un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possibles de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d'être atteints si :

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces; [et]

c) les prix et modalités ne constituent pas un obstacle abusif au trafic à l'intérieur du Canada ou à l'exportation des marchandises du Canada. »

(D) Intention législative

[58] Les textes de loi doivent être lus et analysés non seulement dans le contexte des dispositions législatives particulières en cause, mais également en tenant compte de l'objet et de l'esprit de la loi. Dans le cas présent, l'Office se penche sur les dispositions d'interconnexion de la LTC contenues dans la Partie III, Section IV intitulée « Prix, tarif et services ».

[59] Pour la plupart, ces dispositions existent depuis longtemps dans les lois sur les chemins de fer du Canada sous une forme ou une autre et maintiennent en vigueur les règlements de nature économique de certains aspects du réseau de transport ferroviaire fédéral en accordant aux participants de l'industrie un certain nombre de droits et de recours législatifs tout en imposant des obligations législatives à d'autres.

[60] Par exemple, parmi les dispositions se trouvant dans la Partie III, Section IV de la LTC, l'article 113 impose à une compagnie de chemin de fer un niveau précis d'obligations de service pour assurer le trafic. De plus, l'article 121 de la LTC permet à un expéditeur qui veut faire transporter des marchandises sur un parcours continu dont des parties sont exploitées par plusieurs compagnies de chemin de fer de demander que ces compagnies s'entendent sur un tarif commun ou concluent un contrat confidentiel.

[61] L'article 127 de la LTC permet à l'Office d'ordonner une interconnexion lorsqu'une ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer dans un rayon de 30 kilomètres du point d'origine ou de destination. L'article 129 de la LTC permet à un expéditeur qui n'a accès qu'aux lignes d'une seule compagnie de chemin de fer au point d'origine ou de destination du transport effectué pour lui et qu'un parcours continu est exploité entre ces points par plusieurs compagnies de chemin de fer, de demander que le transporteur local établisse un prix de ligne concurrentiel. L'article 138 de la LTC prévoit qu'une compagnie de chemin de fer peut demander à l'Office un droit de circulation sur le chemin de fer d'une autre compagnie.

[62] Essentiellement, ce que ces dispositions et autres dispositions connexes ont en commun, c'est qu'elles prévoient des recours législatifs précis pour les expéditeurs ou imposent des obligations aux compagnies de chemin de compétence fédérales dans le but de corriger les situations où il existe un manque de concurrence présumé. Le but ultime de ces dispositions est de fournir des solutions concurrentielles aux expéditeurs.

[63] L'interconnexion du trafic entre les compagnies de chemin de fer est une réalité au Canada depuis le début des années 1900. Le concept de l'interconnexion visait à limiter la prolifération des lignes de chemin de fer dans les zones urbaines desservant les industries manufacturières, mais le fait de limiter le nombre de lignes de chemin de fer dans une région peut donner lieu à un service et des tarifs monopolistiques. On estimait que la capacité d'échanger ou d'interconnecter le trafic avec une ou plusieurs autres compagnies de chemin de fer dans certaines limites permettrait de réduire le contrôle exclusif sur le trafic.

[64] Les dispositions d'interconnexion actuelles de la LTC visent à donner aux expéditeurs un meilleur accès à des services concurrentiels et à des prix connus à d'autres transporteurs dans les limites de l'interconnexion. Une interprétation de la loi pertinente devrait aller dans le sens de cet objectif.

(E) Texte de l'article 127 de la LTC et dispositions d'interconnexion connexes

Lieu de correspondance

[65] Les parties conviennent que pour appliquer l'interconnexion réglementée, il doit y avoir un lieu de correspondance au sens de l'article 111 de la LTC et que le point d'origine ou de destination du trafic doit se situer dans un rayon de 30 kilomètres du lieu de correspondance. Les parties conviennent que la distance entre la gare de triage de Fort Rouge et les installations de Paterson à Lilyfield se situe dans un rayon de 30 kilomètres.

[66] Par contre, les parties ne sont pas d'accord sur la question de savoir si les faits de ce cas respectent les dispositions sur l'interconnexion réglementée de la LTC et, en particulier, la définition de « lieu de correspondance » énoncée à l'article 111 de la LTC. De plus, CN fait valoir qu'une troisième condition doit être satisfaite, à savoir que le transporteur qui effectue l'interconnexion doit être un « transporteur local » selon la définition de l'article 111 de la LTC. Cette position n'est soutenue ni par BNSF, ni par Paterson ni par CCB.

[67] CN fait valoir que le trafic de BNSF est laissé dans la gare de triage de Fort Rouge pour y être ramassé par BNSF, un endroit où la ligne de CN n'est pas raccordée à la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer; et donc la gare de triage de Fort Rouge n'est pas un lieu de correspondance au sens de l'article 111 de la LTC. Plus explicitement, bien que BNSF entre dans la gare de triage de Fort Rouge pour ramasser ses wagons du train en commun, cela s'effectue sur la ligne de CN aux termes d'une entente de droits de circulation, ce qui n'est pas suffisant pour créer un lieu de correspondance à cet endroit.

[68] Pour sa part, BNSF indique que « lieu de correspondance », tel que défini dans l'article 111 de la LTC, établit deux conditions pour son existence et que les deux conditions sont satisfaites dans le cas dont l'Office est saisi. La première condition, que la ligne d'une compagnie de chemin de fer soit raccordée à la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer, est satisfaite puisqu'il existe une connexion physique entre BNSF et CN à l'ouest de la gare de triage de Fort Rouge.

[69] Quant à la deuxième condition, « par usage et accord », depuis 1913 jusqu'à aujourd'hui, d'abord à la gare de triage F et actuellement à la gare de triage de Fort Rouge, les wagons chargés et vides sont transférés entre BNSF et CN, un lieu où des wagons peuvent être garés jusqu'à la livraison ou la réception par l'autre compagnie.

[70] Paterson fait valoir que l'entente de voies de transbordement de 1913 entre CN et BNSF établit un lieu de correspondance à Portage Junction et que les wagons sont transférés à cet endroit depuis 1912, bien que l'endroit exact du lieu de correspondance ait changé au cours des années de la gare de triage F à la gare de triage de Fort Rouge, toutes les deux situées à Portage Junction.

[71] Le paragraphe 127(1) de la LTC prévoit que l'Office peut ordonner une interconnexion « [s]i une ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer ». Les parties conviennent qu'une ligne de CN est raccordée à une ligne de BNSF, mais une des questions en litige entre les parties est l'emplacement de ce raccordement au point milliaire 4,5 de la subdivision Rivers de CN et le fait que ce raccordement n'est pas dans la gare de triage de Fort Rouge dont CN fait valoir qu'il est situé 1,91 mille plus loin.

[72] Il ressort de la lecture de la définition de « lieu de correspondance » qu'il est un endroit où les lignes de deux compagnies de chemin de fer sont raccordées et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu'à la livraison ou la réception par l'autre compagnie. La question soulevée par les parties est celle des limites géographiques de cet endroit.

[73] CN fait valoir que les deux conditions énoncées dans la définition de « lieu de correspondance » ne sont pas satisfaites car elles doivent se rapporter à un même endroit, ce qui n'est pas le cas ici : les lignes de BNSF et de CN ne se raccordent pas à la gare de triage de Fort Rouge; elles se raccordent en fait au point milliaire 4,5 de la subdivision Rivers de CN.

[74] BNSF, contrairement à CN, soutient que le mot « lieu » figurant dans la définition de « lieu de correspondance » exige une interprétation élargie pour être compatible avec l'objet des dispositions d'interconnexion. BNSF indique au paragraphe 23 de son mémoire :

[L]'utilisation du mot « lieu » pour décrire à la fois l'emplacement physique du raccordement et des voies de garage dans la définition de « lieu de correspondance » exige nécessairement une interprétation élargie car il existe de nombreuses configurations de voies d'interconnexion, des configurations établies dans bien des cas pour des raisons de commodité pour les deux compagnies de chemin de fer en cause, comme c'est le cas avec le lieu de correspondance entre BNSF et CN à Winnipeg. [traduction]

[75] Le Black's Law Dictionary, 6e édition, définit « place » (lieu) ainsi : « Ce terme est très vague. Il s'applique à tout endroit, limité par des frontières, aussi grandes ou petites soient-elles. Il peut servir à désigner un pays, un État, une ville ou une très petite partie d'une ville. L'étendue de l'endroit doit généralement être déterminée par le contexte dans lequel on l'utilise. Dans son sens le plus général, il désigne un endroit, un emplacement ou un site et désigne également un emplacement occupé ou un bâtiment. » [traduction]

[76] L'Office est d'avis que le mot « lieu » est un terme au sens large qui peut raisonnablement correspondre à une zone qui comprend deux lignes de chemin de fer raccordées et une gare de triage, les deux éléments physiques pouvant ne pas se trouver exactement au même endroit. Il n'y a rien dans la définition de « lieu de correspondance » au sujet de la proximité des lignes de raccordement et des installations de garage représentant le lieu où se produit l'interconnexion.

[77] L'Office estime que la formulation de l'article 111 de la LTC est suffisamment vague pour conclure qu'une interprétation raisonnable du mot « lieu » dans la définition de « lieu de correspondance » reflète les différences physiques et les aspects pratiques des opérations ferroviaires et le fait qu'en général, il n'existe pas deux configurations de gare de triage ou de voies semblables. La disposition des voies, les contraintes d'espace et la topographie du terrain peuvent influencer l'emplacement des installations de garage des wagons. Par conséquent, il pourrait être pratiquement impossible d'avoir des installations en place pour y garer des wagons au point de connexion de deux lignes de chemin de fer.

[78] À cet égard, Paterson indique aux paragraphes 33 et 34 de son intervention :

Les wagons ne peuvent pas être chargés et des wagons vides ne peuvent pas être garés au point de raccordement exact entre deux lignes de chemin de fer (BNSF-CN). Tenter de limiter un « lieu de correspondance » au point de raccordement exact d'acier, de bois et de ballast n'est pas raisonnable. Le point de raccordement exact des lignes est situé dans un espace de deux à quatre mètres et il n'est pas raisonnable d'interpréter l'article 111 de façon à définir littéralement le lieu de correspondance comme se produisant dans ces deux à quatre mètres. Cette interprétation est illogique, déraisonnable et impossible.

Dans l'industrie, les wagons sont chargés et les wagons vides sont garés dans des gares de triage ou sur des voies d'évitement proches du raccordement réel entre les lignes de chemin de fer, mais pas nécessairement à l'endroit même du raccordement entre les lignes de chemin de fer. [traduction]

[79] Dans le cas dont est saisi l'Office, compte tenu de la configuration des voies et de la cour de remisage, BNSF doit se déplacer sur la ligne de CN pour accéder à la gare de triage de Fort Rouge où les wagons chargés ou vides de BNSF sont garés jusqu'à leur livraison ou réception par BNSF. Le fait que BNSF ait maintenant à parcourir une plus longue distance pour rejoindre la voie de garage, de sorte que le point où les deux lignes sont raccordées est plus éloigné de la cour de remisage résulte de la décision de CN de déplacer les installations de remisage.

[80] Cette interprétation du mot « lieu » est également étayée par l'intention de la loi en ce sens qu'une interprétation étroite limiterait l'interconnexion à un mécanisme d'accès concurrentiel et pourrait éliminer de nombreux lieux de correspondance. L'interprétation large ci-dessus rend compte des réalités opérationnelles actuelles de nombreuses gares de triage. Adopter une interprétation étroite limiterait considérablement l'applicabilité de l'interconnexion réglementée, ce qui serait contraire à l'intention de la loi.

[81] D'autre part, alors que CN fait valoir que l'Office a déjà conclu que le lieu de correspondance de BNSF avec CN est situé près de St. James Junction selon le certificat d'aptitude de BNSF, l'Office fait remarquer que la délivrance du certificat d'aptitude modifié se fonde sur le caractère adéquat de l'assurance-responsabilité du transporteur à l'égard de la construction ou de l'exploitation proposée d'un chemin de fer, et non sur la détermination d'un lieu de correspondance.

[82] Bien que la compagnie de chemin de fer doive préciser les terminus et l'itinéraire de chaque ligne de chemin de fer qui sera exploitée, cela n'en fait pas nécessairement un « lieu de correspondance » aux fins des dispositions d'interconnexion de la LTC et du Règlement sur l'interconnexion.

Interconnexion

[83] L'article 111 de la LTC définit « interconnexion » comme le transfert du trafic « des lignes d'une compagnie de chemin de fer à celles d'une autre compagnie de chemin de fer. » À la gare de triage de Fort Rouge, il y a transfert de trafic entre les deux compagnies de chemin de fer. Par contre, comme il est précisé plus haut, BNSF a des droits de circulation sur la ligne de CN, ce qui lui permettent d'entrer dans la gare de triage de Fort Rouge pour le transfert de son trafic à ses locomotives.

[84] L'entente de droits de circulation de 1912 a accordé à BNSF le droit de faire circuler ses trains sur la subdivision Letellier de CN à partir de Noyes, Dakota du Nord à Portage Junction, ainsi que le droit d'exploiter ses trains sur la ligne de CN de Portage Junction à l'ouest d'un point sur la ligne de CN où BNSF peut procéder à un raccordement. En 1983, les parties ont conclu un accord de remorquage qui a prévu l'exploitation d'un train en commun. Selon cet accord, CN transporte le trafic de BNSF sur ses trains avec son propre trafic à partir de Noyes jusqu'à Winnipeg. CN, dans son mémoire, indique qu'elle agit comme transporteur de remorquage contractuel pour BNSF et que le train qui transporte le trafic de BNSF est à toutes fins pratiques un train de BNSF.

[85] L'entente de voies de transbordement de 1913 prévoyait la construction d'une voie de transfert à l'ouest de Portage Junction qui était située à la gare de triage F utilisée pour transférer le trafic entre les deux compagnies de chemin de fer de 1913 à 2003.

[86] Aux termes de cette entente, deux voies ont été construites dans la gare de triage F de CN. Comme l'a fait valoir CN, une voie a été construite pour livrer le trafic à BNSF alors que la seconde voie a été construite pour la livraison du trafic de BNSF à CN.

[87] De plus, comme le prévoit l'entente de voies de transbordement de 1913, CN avait le droit de changer ou de modifier l'emplacement de ces voies de transfert. En 2003, CN a retiré la gare de triage F qui a été remplacée par la gare de triage de Fort Rouge, qui selon BNSF est située à environ 560 mètres au nord de Portage Junction.

[88] Paterson fait valoir que « cet accord d'usage conjoint est plus qu'un accord habituel de droits de circulation[...] la construction de ladite voie visait un usage conjoint et pas simplement un droit de circulation. [traduction]

[89] Les articles suivants de l'entente de 1913 étayent la position de Paterson.

[90] L'article 1 de l'entente de voies de transbordement de 1913 se lit :

Que la Compagnie du Nord construira, pour le transfert des wagons des lignes d'une compagnie vers celles de l'autre, des voies de transfert comme il est indiqué en rouge sur le plan « Annexe A », faisant partie de la présente entente, et les parties, pendant la durée de la présente entente, et selon les modalités contenues dans les présentes, utiliseront lesdites voies aux fins du transfert des wagons à Portage Junction, à Winnipeg, à partir de la ligne d'une compagnie jusqu'à la ligne de l'autre; ledit transfert devant être effectué conformément à la méthode mutuellement convenue par les compagnies. [traduction]

[91] L'article 2 se lit :

Que la Midland Company, suivant la construction desdites voies de transfert, paiera à la Compagnie du Nord la somme de six mille cinq cent trente-trois dollars et trente cents (6 533,30 $), soit la moitié de tous les coûts et dépenses en cause, comme il est indiqué sur les états en annexe, ces paiements devant être effectués sur exécution des présentes. [traduction]

[92] L'article 3 se lit en partie :

Que la Compagnie du Nord se chargera de tous les travaux d'entretien et de réparation desdites voies de transfert et la Midland Company paiera à la Compagnie du Nord la moitié de tous les coûts sur présentation d'états mensuels par la Compagnie du Nord[...] [traduction]

[93] L'article 4 se lit en partie :

Que la Midland Company paiera également à la Compagnie du Nord, le 15 août de chaque année pendant la durée de l'entente, la somme de deux cents dollars (200,00 $), soit le montant équivalent à la location sur la moitié du terrain utilisé pour les voies de transfert[...] (Traduction)

[94] L'article 7 se lit :

Qu'à la fin de l'entente, chaque partie aura droit à la moitié du matériel contenu dans les voies de transfert, mais que sur décision de la Midland Company et sur sa demande écrite, la Compagnie du Nord prendra tout le matériel et paiera à la Midland Company le coût assumé par la Midland Company conformément à l'état de compte ci-joint, moins les frais d'amortissement calculés au taux de 6 % par an à partir de la date fixée. [Traduction]

[95] Comme il est indiqué ci-dessus, en 2003, à la suite de ce que CN appelle une « reconfiguration physique des voies dans la région de Winnipeg », les opérations relatives au transfert du trafic à BNSF qui se déroulaient dans les 1 530 pieds de capacité de la voie de la gare de triage F ont maintenant lieu à la gare de triage Fort Rouge de CN.

[96] L'article 5 de l'entente de voies de transbordement de 1913 prévoyait la poursuite du transfert du trafic de BNSF à CN conformément aux conditions de l'entente. L'article 5 se lit :

Que si la Compagnie du Nord souhaite pendant la durée de la présente entente modifier ou changer l'emplacement ou la construction desdites voies de transfert pour toute raison éventuelle, elle pourra le faire à ses propres frais en fournissant d'autres installations de transfert aussi commodes que possible. Si les parties ne peuvent s'entendre sur ce remplacement des installations de transfert, toutes les questions en litige seront renvoyées à la Commission des chemins de fer du Canada dont la décision sera définitive. Les modalités de la présente entente s'appliqueront, avec les modifications qui s'imposent, aux nouvelles voies aussi complètement et dans la même mesure qu'aux voies originales. [traduction]

[97] L'Office est d'avis qu'à la lumière de la lecture des dispositions de l'entente de voies de transbordement de 1913 ci-dessus et des arguments de CN, le contexte opérationnel qui existait à la gare de triage F de CN est maintenu à la gare de triage de Fort Rouge. Le trafic destiné à Paterson n'est pas transféré physiquement entre les lignes des deux compagnies de chemin de fer au moyen de voies de transfert car, par souci d'efficacité, le trafic de Paterson n'est pas retiré du train en commun, mais reste intact et est transféré par voie électronique. Néanmoins, si ce n'était la nature du transport, il serait normalement retiré du train en commun avant d'être transféré à CN, tout comme d'autres transports entre BNSF et la gare de triage de Fort Rouge de CN.

[98] De plus, l'entente de voies de transbordement de 1913 montre que BNSF avait une « ligne de chemin de fer » à la gare de triage F et a maintenant une « ligne de chemin de fer » à la gare de triage de Fort Rouge de CN. Contrairement à l'entente de droits de circulation de 1912, qui établissait notamment les droits de circulation, l'entente de voies de transbordement de 1913 donnait à BNSF un titre de participation dans la voie de transfert, comme en témoigne le fait que, selon l'entente, BNSF a payé la moitié de tous les coûts et dépenses associés à la construction des voies de transfert, la moitié des frais d'entretien et de réparation des voies et si l'entente est annulée, BNSF a le droit de recevoir une compensation de CN pour la moitié du matériel contenu dans la voie de transfert.

[99] Cette conclusion est appuyée par la décision no 798-R-1993 relative au partenariat CNCP de l'Outaouais, un partenariat entre CN et CP. Bien que l'Office national des transports (ONT) ait finalement annulé cette décision lorsque le partenariat CNCP de l'Outaouais a pris fin, les principes qu'elle a établis restent valables dans le cas présent.

[100] Dans ce cas, CN et CP ont déposé auprès de l'ONT un avis d'accord en vue de céder des tronçons de leurs lignes de chemin de fer respectives et d'autres biens dans la région de la vallée de l'Outaouais au partenariat CNCP de l'Outaouais. Cet accord aurait donné lieu à une seule ligne d'environ 370 milles. Certaines parties craignaient que les dispositions d'interconnexion de la LTC ne s'appliqueraient plus si cette ligne unique était mise en place. Elles renvoyaient également l'ONT à la décision Celgar.

[101] Dans la décision no 798-R-1993, l'ONT a indiqué :

C'est la définition du « lieu de correspondance » donnée à l'article 110 de la LTN 1987 qui détermine s'il y aura encore des lieux de correspondance en divers endroits de la ligne du Partenariat. Voici cette définition:

Lieu où la ligne d'une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d'une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu'à livraison ou réception par cette autre compagnie.

L'Office est d'avis qu'il y aura des lieux de correspondance là où la ligne en propriété conjointe du Partenariat et toute autre ligne de chemin de fer, y compris celles de CN et de CP, se rencontreront et où il y aura des aménagements pour garer des wagons. Cet avis repose sur le fait que les lignes du Partenariat sont, comme nous l'avons indiqué plus haut, celles des associés, qui sont eux-mêmes des compagnies de chemin de fer. L'Office est convaincu que le droit de propriété que chaque associé a sur la ligne du Partenariat permet de dire que chaque associé a une « ligne de chemin de fer » pour l'application de la définition de « lieu de correspondance ».

Comme chaque associé a une « ligne de chemin de fer », l'Office estime aussi qu'il y aura des lieux de correspondance aux endroits de la ligne du Partenariat où il y aura des installations pour le garage de wagons. Même s'il n'y a matériellement qu'une seule ligne de chemin de fer, ce sont les droits de propriété, de l'avis de l'Office, qui déterminent l'existence d'un lieu de correspondance dans le cas présent[...]

Le raccordement de lignes sera encore possible là où les lignes d'un autre chemin de fer croiseront celle du Partenariat.

[102] D'autre part, l'Office est d'avis que BNSF a un droit de propriété suffisant sur la voie de transfert dans la gare de triage de Fort Rouge pour détenir une ligne de chemin de fer aux fins des dispositions d'interconnexion de la LTC.

Cas Celgar

[103] CN a renvoyé à la décision Celgar pour étayer sa position voulant qu'il n'y ait pas de raccordement entre une ligne de CN et la ligne d'une autre compagnie de chemin de fer à la gare de triage de Fort Rouge. Même si BNSF bénéficie de droits de circulation sur la ligne de CP, cela ne lui donne pas une ligne de chemin de fer aux fins de l'article 127 de la LTC. De même, dans le cas présent, le fait que BNSF a des droits de circulation sur la ligne de CN qui mène à la gare de triage de Fort Rouge ne crée pas un lieu de correspondance.

[104] BNSF est d'avis que le cas Celgar n'est valable que pour la proposition voulant que deux lignes de chemin de fer doivent se raccorder pour qu'il y ait un lieu de correspondance, une situation qui existe dans le cas actuel puisque BNSF a une ligne de chemin de fer qui se raccorde à une ligne de CN à Winnipeg. Par contre, dans le cas Celgar, il n'y avait qu'une ligne de chemin de fer, mais une autre compagnie de chemin de fer avait des droits de circulation sur cette ligne.

[105] Paterson et CCB appuient la position de BNSF selon laquelle le cas Celgar ne s'applique pas car la ligne de CN se raccorde bien avec la ligne de BNSF à Portage Junction.

[106] Dans la décision Celgar, l'ONT a conclu qu'il n'y avait qu'une ligne de chemin de fer menant au lieu de correspondance de Nelson, en Colombie-Britannique, soit celle de CP. L'ONT a conclu que Burlington Northern Railroad Co. (BN) ne possédait pas de « ligne de chemin de fer ». Aux termes d'un accord de droits de circulation avec CP à Nelson, BN n'avait que des droits de circulation sur une ligne de chemin de fer et non un droit de propriété sur la ligne de chemin de fer. Dans le cas présent, BNSF est propriétaire d'une ligne de chemin de fer à la gare de triage de Fort Rouge.

[107] L'Office est d'avis que le cas Celgar est différent du cas présent en ce sens que la ligne de BNSF se raccorde à la ligne de CN à 1,91 mille à l'ouest de la gare de triage de Fort Rouge et, comme il est indiqué ci-dessus, la définition de lieu de correspondance n'exige pas que les lignes de raccordement et les installations de garage soient exactement au même endroit. En outre, BNSF a un droit de propriété sur les voies de transfert dans la gare de triage de Fort Rouge.

Transporteur local

[108] CN fait valoir que pour l'application de l'interconnexion réglementée, outre l'exigence d'avoir un lieu de correspondance, CN doit également être un « transporteur local » selon la définition de l'article 111 de la LTC. À cet égard, CN estime qu'elle ne satisfait pas aux conditions de la définition d'un transporteur local et que les dispositions d'interconnexion de la LTC ne s'appliquent donc pas.

[109] BNSF soutient que l'on ne peut pas importer dans le paragraphe 127(1) de la LTC l'exigence voulant que CN soit un transporteur local, un terme qui est défini et utilisé aux fins des dispositions de la LTC sur les prix de ligne concurrentiels.

[110] Le terme « transporteur local » est défini dans l'article 111 de la LTC ainsi : « Compagnie de chemin de fer qui effectue du transport à destination ou à partir d'un lieu de correspondance à un point d'origine ou à un point de destination qu'elle dessert exclusivement. »

[111] L'Office fait remarquer que même si le concept de « transporteur local » fait partie intégrante des dispositions sur les prix de ligne concurrentiels énoncées aux articles 129 à 136 de la LTC, rien n'indique dans les dispositions d'interconnexion que les conditions qui créent un transporteur local doivent être satisfaites au moment de décider si l'interconnexion réglementée est applicable à une situation particulière.

[112] Les définitions de l'article 111 de la LTC définissent les mots aux fins des dispositions de la Partie III, Section IV de la LTC et ne sont utilisées que lorsqu'elles s'appliquent. Contrairement aux dispositions sur les prix de ligne concurrentiels, les dispositions d'interconnexion de la LTC ne font pas référence au terme « transporteur local », ni dans la LTC ni dans le Règlement sur l'interconnexion.

[113] Le Règlement sur l'interconnexion mentionne cependant un « transporteur de tête de ligne », soit la compagnie de chemin de fer qui fait l'interconnexion, à un lieu de correspondance, du trafic en provenance ou à destination d'une voie d'évitement.

[114] Bien que dans une décision antérieure, à savoir la décision no 514-R-2007, l'Office, au paragraphe 48, ait indiqué que le transporteur de tête de ligne est également appelé transporteur local, la définition donnée était alors fondée sur les faits particuliers du cas où le transporteur de tête de ligne était effectivement le transporteur local. L'Office a utilisé le terme « transporteur local » dans cette décision car il est reconnu dans l'industrie comme le transporteur de tête de ligne aux fins de l'interconnexion. Par contre, il ne limite pas l'applicabilité de l'interconnexion aux situations où le transporteur est un transporteur local.

[115] En fait, si l'on importe dans les dispositions d'interconnexion de la LTC l'exigence voulant que CN soit un transporteur local, l'application de l'interconnexion réglementée ne serait possible que s'il n'y avait qu'une seule compagnie de chemin de fer desservant exclusivement l'expéditeur, une interprétation qui restreint l'application de l'interconnexion réglementée à certains bénéficiaires et va à l'encontre des principes que l'interconnexion réglementée était censée appliquer.

[116] En général, par le passé, lorsqu'il s'est prononcé sur l'applicabilité de l'interconnexion, l'Office étudiait des cas où un expéditeur était directement desservi par un seul transporteur et ces décisions ont porté, la plupart du temps, sur la question de l'interconnexion dans ce contexte. Dans les décisions antérieures, fondées sur les situations de fait dont l'Office était saisi, l'interconnexion s'appliquait lorsque les expéditeurs étaient captifs de la ligne d'une compagnie de chemin de fer.

[117] Dans le cas présent, une ligne de CP et une ligne de CN desservent Paterson. Comme il est indiqué plus haut, les dispositions d'interconnexion ont pour but de donner aux expéditeurs un meilleur accès à des services concurrentiels, comme en témoigne l'énoncé de la politique nationale des transports à l'article 5 de la LTC qui se lit en partie :

Il est déclaré qu'un système de transport national compétitif et rentable [?] est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d'être atteints si

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces.

[118] Les dispositions de la LTC et du Règlement sur l'interconnexion n'exigent pas qu'un transporteur soit desservi par une seule compagnie de chemin de fer pour que l'interconnexion s'applique. Ceci va directement à l'encontre des dispositions sur les prix de ligne concurrentiels de la LTC dans laquelle le terme « transporteur local » est utilisée et où, au paragraphe 129(1), il est précisé que les dispositions sur les prix de ligne concurrentiels s'appliquent si un expéditeur « n'a accès qu'aux lignes d'une seule compagnie de chemin de fer au point d'origine ou de destination du transport effectué pour lui. »

[119] L'Office est d'avis que, pour que l'interconnexion s'applique, un expéditeur n'a pas à avoir accès à une seule compagnie de chemin de fer et les exigences relatives au « transporteur local » ne s'appliquent pas à l'interconnexion.

[120] CN avance d'autre part que l'itinéraire que prend CN pour livrer le trafic à Paterson nécessite qu'elle utilise des lignes de CP aux termes d'une entente de droits de circulation, c'est-à-dire que le parcours n'est pas continu, une condition requise par la définition de « transporteur local ».

[121] CN a conclu une entente de droits de circulation avec CP dans le cadre d'une initiative de coproduction permettant à CN de discontinuer des portions de sa subdivision Oakpoint qu'elle utilisait pour desservir directement les installations de Paterson, au lieu de desservir les installations par le biais de droits de circulation sur des portions de la subdivision Carberry de CP.

[122] Le terme « parcours continu » est utilisé en rapport avec la définition de « transporteur local » et est mentionné dans l'article 129 de la LTC où il est précisé qu'un parcours continu est une des conditions requise pour l'application des prix de ligne concurrentiels. Toutefois, le terme ne figure pas dans les dispositions d'interconnexion de la LTC.

Observations supplémentaires

[123] Paterson a soulevé plusieurs questions concernant sa vision du service de CN et ses promesses concernant les installations de Lilyfield de Paterson. Dans ses mémoires, CN a réfuté ces allégations.

[124] Comme l'Office a déterminé que les activités ferroviaires entre CN et BNSF dans le cas présent constituent une interconnexion aux termes de l'article 127 de la LTC, l'Office conclut qu'il n'est pas nécessaire de traiter de ces questions.

Conclusion

[125] L'Office est d'avis qu'il existe un lieu de correspondance tel que défini à l'article 111 de la LTC entre BNSF et CN. Il existe un tel lieu où la ligne de chemin de fer de BNSF croise la ligne de chemin de fer de CN au point milliaire 4,5 de la subdivision Rivers de CN, et la gare de triage de Fort Rouge de CN est un lieu où les wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu'à livraison ou réception.

[126] L'Office conclut également que les dispositions de l'entente de voies de transbordement de 1913 entre CN et BNSF établit que BNSF possède une ligne de chemin de fer aux fins des dispositions d'interconnexion de la LTC.

[127] Par conséquent, l'Office conclut que les activités ferroviaires entre BNSF et CN dans la zone de Portage Junction représentent une interconnexion aux fins de l'article 127 de la LTC.

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