Décision n° 466-R-2013

le 19 décembre 2013

DEMANDE présentée par Richardson International Limited en vertu des articles 127 et 128 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée, concernant l’interconnexion du trafic entre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et BNSF Railway Company à Emerson (Manitoba).

No de référence : 
T7360/13-04200

INTRODUCTION

[1] Richardson International Limited (RIL) a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu des articles 127 et 128 de la Loi sur les transports au Canada (LTC). RIL demande à l’Office une ordonnance exigeant que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) effectue l’interconnexion du trafic de RIL entre la voie d’évitement au silo de la rivière Rouge du Sud situé sur la subdivision Letellier de CN et la ligne de BNSF Railway Company (BNSF) à la frontière canado-américaine à Emerson.

CONTEXTE

[2] RIL est la plus importante filiale de James Richardson & Sons, Limited, et la plus importante entreprise agroalimentaire privée du Canada. Elle existe depuis plus de 150 ans. En mai 2013, RIL a acquis de Viterra Inc. (Viterra), entre autres, 19 silos de collecte et 13 centres d’intrants de culture situés à côté de ces silos. RIL a également acquis l’entreprise de meunerie de Viterra, qui comprend des usines de transformation de l’avoine à Portage la Prairie (Manitoba), à Martensville (Saskatchewan), à Barrhead (Alberta) et à South Sioux City, au Nebraska, États‑Unis, ainsi qu’un moulin à blé situé à Dawn, au Texas, États-Unis.

[3] Le silo de la rivière Rouge du Sud de RIL est situé sur la subdivision Letellier de CN, à Letellier (Manitoba), le long de la route provinciale 75 du Manitoba, à environ 95 kilomètres au sud de Winnipeg (Manitoba) et à 20 kilomètres au nord de la frontière canado-américaine.

[4] Il est possible de stocker 16 300 tonnes de grain dans le silo de la rivière Rouge du Sud. La voie d’évitement sur les lieux permet de placer 104 wagons à la fois, et un train de cette taille peut être chargé en 24 heures.

[5] Le silo de la rivière Rouge du Sud est situé plus près de la frontière canado-américaine que tout autre silo à grande capacité des Prairies, outre celui de Coronach (Saskatchewan). Le silo de la rivière Rouge du Sud est bien positionné pour expédier des produits vers le marché des États‑Unis.

[6] L’acquisition récente par RIL d’une usine de meulage de l’avoine à South Sioux City représente une nouvelle occasion sur le marché américain. Environ 120 000 tonnes d’avoine sont traitées dans cette usine chaque année. Plus de 90 pour cent de l’avoine brute traitée à South Sioux City provient du Canada et, du point de vue des tarifs marchandises, le lieu d’origine idéal pour cette avoine est le sud du Manitoba, où est cultivée de 20 à 25 pour cent de l’avoine canadienne.

[7] CN est une compagnie de chemin de fer relevant de l’autorité législative du Parlement. Elle est la propriétaire-exploitante, entre autres lignes de chemin de fer, de la subdivision Letellier où se trouve le silo de la rivière Rouge du Sud. CN est propriétaire de l’emprise de chemin de fer à partir de la frontière canado-américaine jusqu’à Portage Junction dans la région de Winnipeg. L’emprise de chemin de fer de CN traverse Emerson.

[8] Le 29 mai 2013, RIL a informé CN qu’elle prévoyait commander un train de 100 wagons vides de BNSF en vue d’un échange de trafic effectué par CN au silo de la rivière Rouge du Sud, où le chargement devait avoir lieu au cours de la semaine du 9 juin ou du 16 juin 2013. CN a répondu en affirmant que le silo de la rivière Rouge du Sud n’est pas ouvert à l’interconnexion avec d’autres transporteurs ferroviaires. CN affirme que le lieu de correspondance officiel avec BNSF se trouve aux États‑Unis, à Noyes, au Minnesota, et que le Règlement sur l’interconnexion du trafic ferroviaire, DORS/88-41, modifié (Règlement sur l’interconnexion) ne s’applique pas au trafic échangé avec BNSF à « Emerson-Noyes ».

QUESTION

[9] L’Office est-il convaincu que les conditions d’interconnexion devant faire l’objet d’une ordonnance ont été remplies, c.-à-d. qu’une ligne d’une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d’une autre compagnie de chemin de fer et que l’expéditeur est situé dans les limites de l’une des zones prescrites d’un lieu de correspondance?

LA LOI

[10] L’article 87 de la LTC définit une « compagnie de chemin de fer » comme étant « [l]a personne titulaire du certificat d’aptitude visé à l’article 92 […] ». Cette disposition prévoit également ce qui suit pour le terme « exploitation » : « Y sont assimilés l’entretien du chemin de fer et le fonctionnement d’un train. »

[11] Le paragraphe 90(1) de la LTC subordonne l’exploitation d’un chemin de fer à la détention d’un certificat d’aptitude.

[12] L’article 111 de la LTC énonce les définitions qui sont applicables à la partie III, section IV, de la LTC de la façon suivante :

« lieu de correspondance » Lieu où la ligne d’une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d’une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu’à livraison ou réception par cette autre compagnie.

« interconnexion » Le transfert du trafic des lignes d’une compagnie de chemin de fer à celles d’une autre compagnie de chemin de fer conformément aux règlements d’application de l’article 128.

[traduction] « prix d’interconnexion » Prix établi par le règlement pris en vertu de l’alinéa 128(1)b) ou déterminé conformément à ce dernier.

[13] L’article 127 de la LTC prévoit ce qui suit :

  1. Si une ligne d’une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d’une autre compagnie de chemin de fer, l’une ou l’autre de ces compagnies, une administration municipale ou tout intéressé peut demander à l’Office d’ordonner l’interconnexion.
  2. L’Office peut ordonner aux compagnies de fournir les installations convenables pour permettre l’interconnexion, d’une manière commode et dans les deux directions, à un lieu de correspondance, du trafic, entre les lignes de l’un ou l’autre chemin de fer et celles des autres compagnies de chemins de fer qui y sont raccordées.
  3. Si le point d’origine ou de destination d’un transport continu est situé dans un rayon de 30 kilomètres d’un lieu de correspondance, ou à la distance supérieure prévue par règlement, le transfert de trafic par une compagnie de chemin de fer à ce lieu de correspondance est subordonné au respect des règlements.
  4. Sur demande formée au titre du paragraphe (1), l’Office peut statuer que, dans un cas particulier où le point d’origine ou de destination du trafic est situé à plus de 30 kilomètres d’un lieu de correspondance, ou à la distance supérieure prévue par règlement, et où il est d’avis que, dans les circonstances, le point d’origine ou de destination est suffisamment près du lieu de correspondance, le point d’origine ou de destination, selon le cas, est réputé situé à l’intérieur de cette distance.

CRITÈRES LIÉS À L’INTERCONNEXION

[14] En vertu de l’article 127 de la LTC, afin que l’Office ordonne l’interconnexion, trois critères particuliers doivent être satisfaits :

  1. La ligne d’une compagnie de chemin de fer doit être raccordée à la ligne d’une autre compagnie de chemin de fer;
  2. Il existe un lieu où les wagons peuvent être garés;
  3. Le lieu de correspondance est situé dans les limites de la zone d’interconnexion prescrite.

CRITÈRE 1 : LA LIGNE D’UNE COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER DOIT ÊTRE RACCORDÉE À LA LIGNE D’UNE AUTRE COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER

[15] Pour satisfaire au critère 1, trois sous-conditions doivent être satisfaites, notamment :

  1. Il doit y avoir deux compagnies de chemin de fer au sens de la LTC;
  2. Les deux compagnies de chemin de fer doivent détenir une ligne de chemin de fer au sens de la LTC;
  3. Il doit y avoir un raccordement entre les lignes des compagnies de chemin de fer.

Il doit y avoir deux compagnies de chemin de fer au sens de la LTC

Positions des parties

RIL

[16] RIL fait valoir que CN est une compagnie de chemin de fer relevant de l’autorité législative du Parlement. RIL souligne que CN est la propriétaire‑exploitante de la subdivision Letellier sur laquelle le silo de la rivière Rouge du Sud est situé.

[17] RIL affirme qu’en vertu du certificat d’aptitude no 97015‑5 délivré par l’Office, BNSF est autorisée à exploiter un chemin de fer au Canada, y compris dans la province du Manitoba.

CN

[18] CN soutient que Canadian Northern Railway Company, un prédécesseur de CN, a conclu une entente (entente de 1912) avec Midland Railway Company of Manitoba (Midland) pour fournir certains droits de circulation sur la ligne de chemin de fer de CN au Manitoba. CN indique que Burlington Northern (Manitoba) Limited (BNML) est devenue le successeur en titre de Midland, et reconnaît que BNML est une filiale canadienne en propriété exclusive de BNSF.

Analyse et constatations

[19] Les parties ne remettent pas en question que CN et BNSF sont des compagnies de chemin de fer au sens de la LTC. De plus, l’Office a délivré un certificat d’aptitude à CN et à toutes ses filiales, en propriété exclusive ou non, afin d’exploiter ou de construire des chemins de fer au Canada. L’Office a aussi délivré le certificat d’aptitude no 97015‑5 à BNSF et à ses filiales en propriété exclusive, c’est-à-dire BNML, Burlington Northern et Santa Fe Manitoba Inc., pour exploiter un chemin de fer dans les provinces de la Colombie-Britannique et du Manitoba. Comme les deux compagnies de chemin de fer détiennent un certificat d’aptitude, en vertu de l’article 87 de la LTC, elles sont toutes deux des compagnies de chemin de fer au sens de la LTC.

[20] L’Office conclut que la première sous‑condition est satisfaite.

Les deux compagnies de chemin de fer doivent détenir une ligne de chemin de fer au sens de la LTC

Positions des parties

RIL – Ententes contractuelles

[21] RIL fait valoir que l’entente de 1912 fait partie des ententes contractuelles d’exploitation ferroviaire entre CN et BNSF au Manitoba.

[22] RIL soutient que l’entente de 1912 accorde à BNSF des droits élargis d’exploiter ses activités sur un tronçon commun de voie, qui comprend la subdivision Letellier de CN depuis la frontière canado‑américaine jusqu’à Portage Junction à Winnipeg (défini dans l’entente de 1912 comme étant la section A).

[23] RIL affirme qu’en vertu de la section 2 de l’article II de l’entente de 1912, BNSF et CN ont des droits équivalents à tous les égards pour l’utilisation des voies. RIL fait valoir que l’entente de 1912 donne à BNSF le droit [traduction] « de détenir et d’utiliser entièrement, de façon conjointe et équivalente [...] » les voies de CN à Emerson et [traduction] « [...] de mener sur ou par ledit tronçon commun, avec ses propres employés et son propre équipement, toutes les activités indiquées aux présentes qu’une compagnie de chemin de fer et un transporteur public pourraient mener [...] » À l’appui de son argument, RIL affirme que, comme dans le cas traité par l’Office dans la décision no 165‑R‑2013, les droits accordés à BNSF aux termes de l’entente de 1912 sont plus que de simples droits de circulation et suffisent pour permettre à BNSF de mener des activités de correspondance sur les voies de CN à Emerson, comme le montre la pratique de longue date des deux compagnies de chemin de fer.

[24] RIL affirme que dans la décision no 35-R-2009, l’Office a de nouveau conclu qu’une compagnie de chemin de fer détenait une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion même si elle n’était pas la propriétaire des voies. RIL fait valoir que dans le cadre d’un appel auprès de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Office des transports du Canada, 2010 CAF 166 (CN c. l’Office), la CAF a confirmé la décision de l’Office et a élargi les critères utilisés pour déterminer si une compagnie de chemin de fer détient une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion. RIL ajoute que la CAF a clarifié que, dans l’examen de cette question, l’Office doit déterminer si la compagnie de chemin de fer a des droits suffisants relativement aux voies pour les traiter comme si elles faisaient partie de sa ligne de chemin de fer.

[25] RIL soutient que l’entente de 1912 et ses restrictions particulières illustrent que les droits de BNSF en vertu de cette entente sont plus que de simples droits de passage. Plus particulièrement, l’entente de 1912 interdit clairement à BNSF de mener certaines activités commerciales locales sur le tronçon commun. RIL indique que bien que cette restriction s’applique seulement a) au trafic local entre des points sur le tronçon commun et b) au trafic local entre tous points sur le tronçon commun et Winnipeg, le trafic en provenance du silo de la rivière Rouge du Sud vers une destination au‑delà du tronçon commun n’entre pas dans l’une ou l’autre de ces catégories.

[26] RIL fait valoir que l’entente sur le lieu de correspondance conclue entre BNSF et CN en 1977 (entente sur le lieu de correspondance), qui est toujours en vigueur, ne renferme aucune disposition indiquant que Noyes est le seul lieu de correspondance entre CN et BNSF dans le secteur, ou que toute activité de correspondance doit se faire à Noyes. RIL soutient qu’il est clair que la pratique de CN et de BNSF a été d’échanger du trafic non seulement à Noyes, mais également à Emerson. De plus, RIL affirme qu’il est significatif que CN ne nie pas, d’une part, que les voies à Emerson peuvent être utilisées pour échanger du trafic ou d’autre part, qu’elles ont été en fait grandement utilisées à cette fin par BNSF et CN.

[27] RIL souligne que la liste officielle des gares ferroviaires, à savoir l’OPSL 6000, publiée par Railinc (OPSL), indique que Emerson et Noyes sont des lieux de correspondance entre CN et BNSF.

[28] Selon RIL, l’entente sur le lieu de correspondance ne modifie en rien les droits conférés à BNSF en vertu de l’entente de 1912.

CN – Ententes contractuelles

[29] CN fait valoir que RIL interprète l’entente de 1912 de manière à accorder à BNSF suffisamment d’intérêt sur la ligne de CN entre la frontière canado-américaine et Emerson pour que BNSF détienne une ligne de chemin de fer au Canada et, par conséquent, pour que les dispositions d’interconnexion de la LTC s’appliquent. CN ajoute qu’en obtenant des droits de circulation sur la ligne de CN, Midland a obtenu un accès à un réseau ferroviaire américain à partir de ses propriétés ferroviaires à Winnipeg.

[30] CN soutient que le préambule de l’entente de 1912 établit l’objectif de l’entente de la façon suivante : [traduction] « Midland souhaite obtenir des droits de circulation sur des tronçons des lignes susmentionnées », à savoir les lignes de chemin de fer de CN à partir de la frontière canado-américaine jusqu’à Portage Junction.

[31] CN affirme que la section 1 de l’article II de l’entente de 1912 impose une restriction très importante à Midland comme suit :

[traduction]

il est interdit à Midland de mener des activités commerciales locales entre des points sur le tronçon commun ou entre des points sur le tronçon commun et Winnipeg, dans l’une ou l’autre des directions, et d’utiliser tout embranchement industriel, maintenant ou plus tard, qui se trouve sur la section B. [soulignement ajouté par CN]

[32] CN affirme par ailleurs que les parties à l’entente de 1912 ont prévu les conséquences advenant que l’ancienne Commission des chemins de fer du Canada oblige Midland à mener des activités commerciales locales; Midland aurait alors à payer au propriétaire de la ligne 80 pour cent de toutes les recettes brutes découlant de telles activités.

[33] CN soutient que l’entente de 1912 ne permettait pas à Midland de mener des activités commerciales locales, ce qu’ont clairement reconnu les parties lorsqu’elles ont signé l’entente modificative de 1921 dans le but précis de permettre à Midland de mener des activités locales de transport de passagers par voie ferrée sans avoir à remettre 80 pour cent des recettes brutes à CN.

[34] CN fait valoir que ces dispositions montrent l’intention des parties de restreindre l’entente de 1912 à la fourniture de droits de circulation à Midland entre la frontière canado-américaine et la région de Winnipeg, où Midland pourrait avoir accès à ses propriétés ferroviaires. CN ajoute que l’autorisation des droits de circulation était conditionnelle à ce que Midland ne mène pas d’activités commerciales locales sur la ligne. Selon CN, les dispositions de l’entente de 1912 sont claires à cet égard, et l’entente est appliquée de cette manière par les parties depuis plus de 100 ans.

[35] CN n’est pas d’accord avec les affirmations de RIL relativement à l’affaire CN c. l’Office. CN fait valoir que la CAF ne commentait pas les dispositions de l’entente de 1912, mais examinait les dispositions de l’entente de transfert de voie de 1913 concernant la façon dont CN et BNSF traitaient le trafic à Winnipeg.

[36] CN fait valoir que BNSF et CN ont conclu l’entente sur le lieu de correspondance, dans le cadre de laquelle les parties acceptent d’échanger du trafic à Noyes, et BNSF met la voie d’échange de Noyes à la disposition de CN à cette fin.

[37] CN soutient que RIL compte s’appuyer sur l’entente sur le lieu de correspondance entre CN et BNSF pour faire valoir que BNSF détient une ligne de chemin de fer au Canada.

[38] CN affirme que RIL renvoie à la conclusion de l’Office dans la décision no 165‑R‑2013 relativement à l’entente sur le lieu de correspondance entre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) et BNSF à Coutts (Alberta), et laisse entendre qu’elle devrait s’appliquer de la même façon que l’échange de trafic entre CN et BNSF à Noyes. CN fait valoir qu’un examen sommaire de la question révèle que la situation de fait sur laquelle l’Office s’est appuyé pour en arriver à sa conclusion dans cette décision est complètement différente de la situation actuelle, et que les conclusions de cette décision ne s’appliquent pas en l’espèce.

[39] Selon CN, l’entente régissant le lieu de correspondance entre CP et BNSF à Coutts prévoit précisément que les activités de correspondance doivent se faire des deux côtés de la frontière canado-américaine.

[40] CN fait valoir que l’entente sur le lieu de correspondance est claire : tout échange de trafic entre CN et BNSF doit se faire sur la voie d’échange de BNSF à Noyes, et non à Emerson. CN soutient que contrairement à la situation qui prévalait dans la décision no 165‑R‑2013, l’entente sur le lieu de correspondance ne donne pas à BNSF le droit de mener des activités de correspondance à Emerson.

[41] CN maintient que, comme dans toute entente commerciale, chaque partie choisit de conclure une entente en se fondant sur des considérations commerciales et sur la compréhension de ses tâches et droits relatifs, mais aussi sur les avantages conséquents que chacune prévoit tirer d’une telle transaction. Dans le cas de l’entente de 1912, CN affirme que l’échange de trafic à sens unique dans le cadre d’une interconnexion réglementée n’était certainement pas l’une de ces considérations. CN fait valoir que si on prétend maintenant appliquer une interconnexion réglementée, cela change complètement les tâches et les droits relatifs des parties, et altère fondamentalement les considérations commerciales ayant amené les parties à conclure l’entente de 1912.

[42] CN soutient qu’en autorisant la demande sous le couvert de l’interconnexion, l’Office changerait les considérations qui ont amené les parties à consentir à l’entente de 1912, au point de vicier le consentement initial des parties à cette entente. CN ajoute que l’Office s’ingérerait dans une entente commerciale privée et récrirait l’entente. CN fait valoir qu’aucune disposition dans la LTC ne permet à l’Office de modifier une entente conclue valablement entre deux compagnies de chemin de fer. Selon CN, le Parlement aurait eu à établir des dispositions très claires et sans ambiguïté pour attribuer à l’Office un tel pouvoir extraordinaire.

[43] Finalement, en ce qui a trait à l’OPSL, CN affirme que l’inclusion d’Emerson dans l’OPSL est une erreur et qu’elle traitera de cette question avec Railinc afin de corriger la liste.

Analyse et constatations

[44] Dans les décisions antérieures donnant suite à des demandes d’interconnexion, l’Office et ses prédécesseurs ont uniformément établi comme condition préalable à l’interconnexion que chaque compagnie de chemin de fer doit détenir une ligne de chemin de fer.

[45] L’Office note la position de RIL selon laquelle BNSF dispose de suffisamment de droits, en vertu de l’entente de 1912, sur les voies appartenant à CN à Emerson, au nord de la frontière canado-américaine, pour affirmer qu’elle détient une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion.

[46] L’Office note également l’argument de CN selon lequel RIL interprète mal l’entente de 1912, car l’entente prévoit seulement des droits de circulation permettant à BNSF d’accéder à ses installations à Winnipeg.

[47] Comme les deux parties se sont appuyées sur l’entente de 1912, qui accorde à BNSF des droits d’exploiter ses activités sur un tronçon commun de voie, notamment la subdivision Letellier de CN, à partir de la frontière canado-américaine vers Portage Junction à Winnipeg, et ont des compréhensions divergentes de l’entente de 1912 et de la portée des droits ainsi accordés, un examen en profondeur des demandes historiques d’interconnexion s’impose.

[48] Dans la décision no 35-R-2009, l’Office a déterminé que BNSF détenait une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion, en se fondant sur sa conclusion que BNSF avait un « droit de propriété suffisant » sur une ligne de chemin de fer raccordée à la ligne de chemin de fer de CN à Fort Rouge (Manitoba). Le droit de propriété de BNSF provenait d’une entente de construction de voies entre CN et BNSF en vertu de laquelle cette dernière devait assumer une partie des coûts de construction, d’entretien et de réparation, et avait droit à une indemnisation en cas d’annulation de l’entente.

[49] Dans CN c. l’Office, la CAF a confirmé la décision qu’a prise l’Office dans la décision no 35‑R‑2009, et a déterminé que l’Office avait pris une bonne décision en indiquant que BNSF détenait une ligne de chemin de fer. La CAF a convenu que les droits contractuels que BNSF avait à l’égard de la ligne étaient plus que de simples droits de circulation qui lui permettaient d’utiliser les installations pour échanger du trafic dans le cadre de ses activités commerciales avec CN.

[50] Selon les principes établis dans ces décisions, l’Office estime qu’une compagnie de chemin de fer peut détenir une ligne de chemin de fer relativement à une ligne qui lui appartient ou à une ligne appartenant à une autre compagnie de chemin de fer sur laquelle elle détient suffisamment de droits pour y exploiter du trafic et mener des activités de correspondance.

[51] L’Office examinera donc la nature des droits conférés par l’entente de 1912 afin de déterminer si BNSF a droit à plus qu’à de simples droits de circulation et si elle détient suffisamment de droits pour exploiter du trafic et mener des activités de correspondance sur le tronçon commun.

Droits conférés par l’entente de 1912

[52] Se fondant sur le préambule de l’entente de 1912 et le comportement des parties depuis la date d’entrée en vigueur de cette entente, CN interprète l’entente comme accordant seulement de simples droits de circulation. Le préambule indique que [traduction] « Midland souhaite obtenir des droits de circulation sur des tronçons des lignes susmentionnées. » Toutefois, le préambule de l’entente de 1912 ne décrit pas la nature de ces droits de circulation.

[53] Selon RIL, l’entente de 1912 comprend plus que de simples droits de circulation.

[54] L’Office a examiné la section 1 de l’article II de l’entente de 1912 (conclue entre deux prédécesseurs des compagnies de chemin de fer), qui prévoit, en partie, ce qui suit :

[traduction]

Canadian Northern accorde à Midland, selon les conditions indiquées aux présentes, pour la durée qui y est inscrite, la détention et l’utilisation complètes conjointes et équivalentes, avec Canadian Northern et toute autre compagnie qu’elle pourra admettre, de l’ensemble du tronçon commun du chemin de fer susmentionné, notamment dans le but d’exploiter des trains et d’utiliser des lignes télégraphiques et téléphoniques, et d’obtenir le droit de créer des raccordements et de les maintenir pendant la durée de la présente entente, entre les voies dudit tronçon commun et les voies de Great Northern Railway Company et de Northern Pacific Railway Company près d’Emerson, et près de la ville de West Lynn, et à un point sur la ligne passant à l’ouest de Portage Junction entre ladite jonction et au croisement de ladite ligne sur la ligne de chemin de fer du Chemin de fer Canadien Pacifique près de l’avenue Wilkes, dans la ville de Winnipeg. Midland a le droit de mener sur ou par ledit tronçon commun, avec ses propres employés et son propre équipement, toutes les activités commerciales indiquées aux présentes […] mais il lui est interdit de mener des activités commerciales locales entre des points sur le tronçon commun ou entre des points sur le tronçon commun et Winnipeg, dans l’une ou l’autre des directions, et d’utiliser tout embranchement industriel, maintenant ou plus tard, qui se trouve sur la section B.

[55] L’Office note que le libellé de l’entente de 1912 démontre clairement que l’entente confère beaucoup plus que de simples droits de circulation. CN contrôle, gère et administre le tronçon commun, mais l’entente de 1912 accorde à BNSF la détention et l’utilisation complètes conjointes et équivalentes. L’entente prévoit en outre que les mandataires et les employés de CN doivent traiter les affaires de BNSF de façon impartiale. La détention et l’utilisation complètes de BNSF s’appliquent à l’exploitation des trains et à l’utilisation des lignes télégraphiques et téléphoniques, et donnent le droit à BNSF de créer des raccordements, et de les maintenir, près d’Emerson, de West Lynn et de Portage Junction. BNSF a aussi le droit de mener, avec ses propres employés et son propre équipement, toutes les activités commerciales d’une compagnie de chemin de fer et d’un transporteur public, à l’exception des activités commerciales locales.

[56] De plus, l’Office note que la section 1 de l’article II de l’entente de 1912 prévoit également ce qui suit :

[traduction]

Si, conformément à une ordonnance de la Commission des chemins de fer du Canada ou avec le consentement de [CN], ou autrement, [BNSF] doit traiter toute activité commerciale locale dont elle doit rendre compte et payer [à CN] quatre‑vingts (80) pour cent de toutes les recettes brutes ainsi tirées, mais [CN] doit en tout temps maintenir ce service ferroviaire sur le tronçon commun, et fournir adéquatement un service raisonnable de transport de marchandises et de passagers, aux fins des activités commerciales locales qui se font à partir de cet endroit.

[57] L’Office estime que cela accorde clairement à BNSF le droit de choisir de mener des activités commerciales locales suivant une ordonnance de l’Office (la Commission des chemins de fer du Canada au moment de l’entente de 1912), ou avec la permission de CN, ou autrement. Le terme « ou autrement » signifie que cette activité peut être menée sans ordonnance ni permission.

[58] L’interconnexion demandée ne constitue pas une activité commerciale locale du type précisé dans l’entente de 1912. Même si c’était le cas, la deuxième partie de la section 1 de l’article II de l’entente de 1912 contredit toute interprétation selon laquelle BNSF n’a pas le droit de mener des activités commerciales locales sur le tronçon commun. Cette partie souligne plutôt le fait que BNSF, même si elle est autorisée à mener des activités commerciales, peut seulement choisir de mener des activités commerciales locales si elle respecte la répartition des recettes brutes tirées de ces activités. Cela signifie que BNSF est tenue de remettre la majorité, soit 80 pour cent, des recettes brutes à CN.

[59] Par conséquent, BNSF a clairement obtenu le droit de mener de telles activités commerciales en tout temps, y compris à un moment donné dans l’avenir. En échange, l’entente de 1912 prévoit que CN entretiendra ce tronçon de la ligne à l’usage de BNSF aux fins de ces activités supplémentaires. Par conséquent, outre cette condition relative au tronçon commun, il n’y a aucune restriction absolue des droits de BNSF, outre l’interdiction d’utiliser des embranchements industriels définis ainsi que deux types de trajet précis, lesquels ne sont pas pertinents à l’ordonnance demandée par RIL.

[60] L’Office n’est pas d’accord avec l’affirmation de CN voulant que, parce que BNSF n’a pas mené d’activités commerciales locales sur la ligne pendant plus de 100 ans, CN et BNSF conviennent mutuellement que l’activité est interdite. Le droit dans le contrat ne s’éteint pas simplement parce qu’il n’a pas été exercé. L’Office note que le protocole d’entente de 1921 modifie particulièrement l’entente de 1912 relativement à certains trafics, pour accommoder les compagnies de chemin de fer, notamment en apportant une modification concernant la remise d’une partie des recettes. Il est clair que l’entente de 1912 a été modifiée pour des questions pragmatiques lorsque de nouveaux facteurs opérationnels ou économiques sont apparus.

[61] De plus, si on ne fait qu’une simple lecture de l’entente de 1912, le trafic proposé n’est pas pour des activités commerciales locales, et ce sont seulement les activités commerciales locales et le trafic vers Winnipeg qui sont assujettis à une restriction. Comme BNSF détient de vastes droits d’exploitation sur le tronçon commun, aucune activité commerciale qui n’est pas précisée ne devrait être interdite.

[62] L’Office n’est pas d’accord avec la position de CN selon laquelle toute interprétation de l’entente de 1912 qui comprend autre chose que des droits de circulation va au‑delà des pouvoirs de l’Office.

[63] Le fait que l’entente de 1912 prévoit clairement que BNSF a le droit de mener ces activités commerciales particulières et que celle-ci ne s’est pas prévalue de ce droit n’en nie pas l’existence.

[64] De plus, l’Office estime que CN, en présentant cette position, offre une preuve extrinsèque d’interprétation de l’entente de 1912. La Cour suprême du Canada a soutenu que lorsque les dispositions d’un contrat sont claires et sans ambiguïté, la preuve extrinsèque ne peut pas être invoquée pour modifier sa signification. Dans l’affaire Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 RCS 129 (Novopharm), au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’« [i]l n’est pas nécessaire de prendre en considération quelque preuve extrinsèque que ce soit lorsque le document est, à première vue, clair et sans ambiguïté ».

[65] L’Office conclut que, comme dans l’affaire Novopharm, il n’y a aucune ambigüité dans le libellé utilisé dans l’entente de 1912. L’intention subjective de l’une des parties ne compte pas dans l’interprétation d’un contrat lorsque le libellé est clair et sans ambiguïté.

[66] L’Office note également la position de CN selon laquelle si l’Office autorise la demande, il changera les considérations qui ont constitué le fondement du consentement des parties à l’entente de 1912, au point de vicier le consentement initial des parties. L’Office reconnaît que l’entente de 1912 est une entente commerciale conclue entre les prédécesseurs de CN et de BNSF, mais l’Office a conclu que les droits conférés par l’entente sont clairs et sans ambiguïté. Il est largement du pouvoir de l’Office d’examiner l’entente de 1912 afin de déterminer la portée des droits qu’elle renferme.

[67] Dans la décision no 35-R-2009, l’Office s’est penché sur les droits contractuels entre les compagnies de chemin de fer. Dans l’appel subséquent interjeté par CN, la CAF a confirmé la décision de l’Office et a jugé que l’Office avait correctement déterminé que BNSF détenait une ligne de chemin de fer. L’autorité de l’Office relativement à l’entente de 1912 ne lui permet pas de modifier l’entente de manière à conférer des droits à BNSF, mais plutôt de déterminer quels droits lui sont accordés sur le tronçon de la voie visé par la demande de RIL devant l’Office.

[68] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut qu’en appliquant le principe des droits suffisants pour exploiter du trafic et mener des activités de correspondance établi dans l’affaire CN c. l’Office, BNSF détient suffisamment de droits sur les voies de CN par suite de l’entente de 1912, et elle détient une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion.

Activités de correspondance

[69] Les deux parties ont fait référence à l’entente sur le lieu de correspondance, mais elles ont des points de vue contradictoires. CN se fonde sur l’entente sur le lieu de correspondance pour indiquer que les parties se sont entendues pour seulement échanger du trafic à Noyes et que BNSF met son lieu de correspondance à la disposition de CN à cette fin. RIL affirme que l’entente sur le lieu de correspondance ne renferme aucune disposition selon laquelle Noyes est le seul lieu de correspondance entre CN et BNSF dans le secteur ou que toute activité de correspondance doit être menée à Noyes. RIL ajoute que la pratique de CN et de BNSF a été d’échanger du trafic non seulement à Noyes, mais également à Emerson, et elle note que CN n’a pas nié cette déclaration.

[70] Que les activités de correspondance soient strictement menées aux termes de l’entente sur le lieu de correspondance ou que cette pratique découle de facteurs opérationnels pragmatiques, l’Office note qu’il y a des antécédents d’interconnexion incontestés entre CN et BNSF, et que les activités de correspondance se font des deux côtés de la frontière canado-américaine. Par conséquent, l’Office conclut que BNSF a suffisamment de droits sur les voies de CN à partir de la frontière jusqu’à Emerson pour qu’on estime que les voies font partie de la ligne de chemin de fer de BNSF dans le but de mener des activités de correspondance à Emerson. L’Office note également que Noyes et Emerson figurent toutes deux dans l’OPSL, malgré l’affirmation de CN selon laquelle cela est une erreur. Même si Emerson ne figurait pas dans l’OPSL, cela ne changerait pas le fait que des activités de correspondance sont menées à Emerson.

[71] Les parties ont fait plusieurs renvois aux décisions nos 35-R-2009">35-R-2009 et 165-R-2013">165-R-2013 qui s’appliquent à des ententes contractuelles conclues entre les parties. L’Office note que RIL fait référence aux paragraphes 61 à 63 de la décision no 165-R-2013, et fait valoir que les conclusions de l’Office dans cette partie de la décision ont particulièrement trait à la question de savoir s’il y avait un raccordement entre les lignes des deux transporteurs aux fins de la définition de « lieu de correspondance » de l’article 111 de la LTC. RIL souligne également que les articles 111 et 127 renferment le terme « est raccordée » à l’égard des lignes de deux compagnies de chemin de fer, et les principes d’interprétation de la loi exigent que ce terme soit interprété de la même façon dans les deux cas.

[72] L’Office est d’avis qu’une autre comparaison au cas présent peut porter sur le raccordement physique de lignes de chemin de fer à une frontière internationale. Dans la décision no 165‑R‑2013, l’Office a indiqué ce qui suit :

[62] Bien qu’on puisse affirmer que les territoires de deux pays se touchent ou se rejoignent à la frontière internationale sans empiéter l’un sur l’autre, on ne peut pas affirmer la même chose au sujet du raccordement de lignes de chemin de fer. Les lignes de chemin de fer raccordées ne sont pas contiguës; chaque voie ferrée est rattachée à l’autre voie pour former une ligne continue. Les lignes sont physiquement reliées. Cela signifie qu’il est impossible que le point de raccordement d’une ligne de chemin de fer soit une membrane fine, comme c’est le cas de la frontière internationale. Le raccordement physique de deux lignes de chemin de fer se fait nécessairement sur une distance supérieure à la largeur d’une frontière internationale.

[63] À la lumière de cet énoncé, l’Office conclut que le raccordement physique des lignes de chemin de fer de BNSF et de CP est plus large que la frontière internationale à Coutts et se prolonge du côté du Canada. Par conséquent, BNSF détient une ligne de chemin de fer qui se prolonge au-delà de la frontière internationale au Canada. L’Office conclut donc que BNSF détient une ligne de chemin de fer au sens de la disposition sur l’interconnexion de la LTC.

[73] L’Office est d’avis que, comme dans le cas précité, la ligne de chemin de fer appartenant à BNSF, même si elle n’est pas du côté canadien de la frontière, doit également s’étendre sur une distance physique qui excède la largeur de la frontière canado-américaine. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, BNSF détient une ligne de chemin de fer sur le tronçon commun parce qu’elle est détentrice d’un certificat d’aptitude et que les droits qui lui sont conférés permettent la détention et l’utilisation complètes conjointes et équivalentes du tronçon commun.

[74] L’Office conclut donc que : 1) BNSF détient une ligne de chemin de fer à des fins d’interconnexion aux termes des droits étendus conférés par l’entente de 1912; 2) les voies physiques se prolongent au-delà de la membrane fine de la frontière canado-américaine; 3) il est incontesté que les parties échangent des wagons à la fois à Noyes et à Emerson depuis longtemps. Par conséquent, BNSF a un point de correspondance au Canada.

[75] L’Office conclut que pour les trois raisons précitées, la deuxième sous‑condition est satisfaite.

Il doit y avoir un raccordement entre les lignes des compagnies de chemin de fer

Positions des parties

RIL – Raccordement physique

[76] RIL affirme qu’un raccordement physique existe entre les lignes de CN et celles de BNSF à la frontière canado-américaine entre Emerson et Noyes.

[77] RIL renvoie à la décision no 165-R-2013 dans laquelle l’Office a conclu qu’un raccordement physique similaire entre les lignes de chemin de fer de CP et celles de BNSF à la frontière canado-américaine entre Coutts et Sweet Grass, au Montana, États-Unis était suffisant pour satisfaire à la première exigence, ce qui signifie qu’il y a raccordement. RIL ajoute que lorsque le raccordement se fait à une frontière internationale, chaque ligne de chemin de fer empiète sur l’autre, et se prolonge ainsi de l’autre côté de la frontière.

[78] En ce qui concerne l’argument de CN selon lequel la frontière canado-américaine est une membrane incroyablement fine, RIL fait valoir que l’argument devrait être rejeté, car les raccordements entre les lignes de chemin de fer, contrairement aux frontières internationales, sont des entités physiques qui ont une dimension spatiale et sont invariablement situés à un endroit précis.

[79] RIL fait valoir que les articles 111 et 127 de la LTC renferment le terme « est raccordée » à l’égard des lignes de deux compagnies de chemin de fer, et les principes d’interprétation de la loi exigent que ce terme soit interprété de la même façon dans les deux cas.

[80] RIL renvoie à l’arrêté no 1992-R-207 et à la décision no 798-R-1993 pour soutenir son argument selon lequel, aux fins de l’article 127 de la LTC, un raccordement entre une compagnie de chemin de fer et une autre compagnie de chemin de fer peut exister même si seulement l’une des compagnies de chemin de fer est entièrement propriétaire des voies à l’endroit où l’échange physique du trafic se fait.

CN – Raccordement physique

[81] Selon CN, les lignes de CN et celles de BNSF se rejoignent à la frontière canado-américaine, mais aucune ne franchit la frontière. CN soutient que malgré cette réalité physique, RIL entend prolonger la voie de BNSF au Canada en appliquant ce que l’Office a indiqué dans la décision no 165-R-2013, soit que le point de raccordement exact des lignes est situé dans un espace de deux à quatre mètres.

[82] CN affirme que BNSF a installé et entretient sa ligne de chemin de fer sur son emprise de chemin de fer qui se termine au point immédiatement au sud de la frontière canado-américaine du côté des États-Unis. CN convient que les lignes de chemin de fer de CN et celles de BNSF se touchent et se raccordent, mais qu’aucune ne franchit la frontière.

[83] En ce qui a trait à la décision no 165-R-2013, CN fait valoir que même si les voies de BNSF devaient se prolonger de deux à quatre mètres au Canada (ce que CN n’admet pas), on ne pourrait pas sérieusement alléguer que cela signifie que BNSF détient une ligne de chemin de fer au Canada. CN est d’avis que l’intention du Parlement était que la LTC s’applique à une entreprise ferroviaire au Canada et à d’autres obligations qui en découlent, et non à aussi peu que de deux à quatre mètres de voie.

[84] CN soutient que sa propriété, son emprise de chemin de fer et sa ligne de chemin de fer s’arrêtent à la frontière canado-américaine. CN ajoute que ses équipes ne sont pas autorisées à effectuer des activités d’entretien du côté sud de la frontière, et ne le font pas non plus.

[85] Selon CN, l’affidavit déposé en preuve par Thomas W. Wincheruk (affidavit) et le rapport d’expert produit par Pollock et Wright, arpenteurs-géomètres, établissent que la ligne de chemin de fer de CN s’arrête à la frontière canado-américaine. Il est également clairement établi que la ligne de chemin de fer de BNSF ne franchit pas la frontière. CN soutient que, par conséquent, BNSF ne détient pas une ligne de chemin de fer au Canada. CN fait valoir que BNSF et CN ont chacune une ligne de chemin de fer dans des pays différents, et celles-ci se touchent à la frontière. Il en résulte qu’il y a seulement une ligne de chemin de fer au Canada à partir de la frontière jusqu’à Emerson et que, par conséquent, il ne peut pas y avoir de raccordement entre les lignes de chemin de fer de deux compagnies de chemin de fer au Canada.

[86] En ce qui a trait à la décision no 165-R-2013, CN affirme que toute déclaration laissant entendre que la voie de BNSF traverse la frontière n’est absolument pas justifiée et est incorrecte.

[87] CN conclut que l’exigence essentielle qu’il y ait un raccordement au Canada entre deux lignes de chemin de fer, laquelle est imposée par l’article 127 de la LTC et par la définition de « lieu de correspondance » se trouvant à l’article 111 de la LTC, est absente.

Analyse et constatations

[88] L’Office note qu’il est incontesté que la ligne de chemin de fer de CN touche la ligne de chemin de fer de BNSF et s’y raccorde à la frontière canado-américaine. Toutefois, les parties ne sont pas d’accord quant à l’endroit où le raccordement physique se produit. À cet égard, les deux parties ont renvoyé à la décision no 165-R-2013.

[89] CN affirme que la situation de fait sur laquelle l’Office s’est appuyé pour en arriver à sa conclusion dans la décision no 165-R-2013 est différente de la situation actuelle, et que les conclusions de cette décision ne s’appliquent pas en l’espèce. CN fait valoir que selon l’affidavit et le rapport d’expert, la ligne de chemin de fer de CN s’arrête à la frontière canado-américaine, tandis que celle de BNSF ne franchit pas la frontière.

[90] Chaque cas doit être examiné selon son bien-fondé, mais l’Office est d’avis que la présente situation est comparable à la situation du cas qui a mené à la décision no 165-R-2013, en ce sens que la frontière canado-américaine est franchie par une seule ligne de chemin de fer appartenant à deux compagnies de chemin de fer différentes, situées de chaque côté de la frontière. L’Office estime que le même principe que celui utilisé dans la décision no 165-R-2013 devrait s’appliquer, c’est-à-dire les caractéristiques physiques du raccordement de voie d’une compagnie de chemin de fer à une frontière internationale.

[91] Comme il a été mentionné plus haut, l’Office, dans la décision no 165-R-2013, plus particulièrement au paragraphe 62, a indiqué que bien qu’on puisse affirmer que les territoires de deux pays se touchent ou se rejoignent à la frontière internationale sans empiéter l’un sur l’autre, on ne peut pas affirmer la même chose au sujet du raccordement de lignes de chemin de fer. Les lignes de chemin de fer raccordées ne sont pas contiguës; chaque voie ferrée est rattachée à l’autre voie pour former une ligne continue. Les lignes sont physiquement reliées. Cela signifie qu’il est impossible que le point de raccordement d’une ligne de chemin de fer soit une membrane fine, comme c’est le cas de la frontière internationale. Le raccordement physique de deux lignes de chemin de fer se fait nécessairement sur une distance supérieure à la largeur d’une frontière internationale.

[92] En revanche, l’Office renvoie à la décision no 798-R-1993 qui s’applique au raccordement de lignes de chemin de fer. L’Office national des transports du Canada (ONT) a conclu ce qui suit en ce qui concerne le raccordement et le lieu de correspondance :

Comme chaque associé a une « ligne de chemin de fer », l’Office estime aussi qu’il y aura des lieux de correspondance aux endroits de la ligne du Partenariat où il y aura des installations pour le garage de wagons. Même s’il n’y a matériellement qu’une seule ligne de chemin de fer, ce sont les droits de propriété, de l’avis de l’Office, qui déterminent l’existence d’un lieu de correspondance dans le cas présent.

[93] La décision no 798-R-1993 portait sur un cas mettant en cause un partenariat entre des compagnies de chemin de fer. L’ONT était d’avis que, sur une ligne de chemin de fer de propriété conjointe, il existe des voies de correspondance partout où se trouvent des installations pour garer des wagons. Dans le cas présent, même si les compagnies de chemin de fer ne sont pas partenaires, l’Office a conclu que BNSF, aux termes de l’entente de 1912, a plus que de simples droits de circulation sur la ligne de chemin de fer de CN et a un droit de propriété suffisant pour détenir une ligne de chemin de fer.

[94] À la lumière du raccordement établi des lignes de chemin de fer des compagnies de chemin de fer, l’Office conclut que la ligne de chemin de fer de BNSF se prolonge au Canada et se raccorde à la ligne de chemin de fer de CN. L’Office estime que le raccordement des lignes de chemin de fer de ces compagnies se fait de deux différentes façons : par le raccordement physique des lignes de chemin de fer et en vertu des droits de propriété établis dans l’entente de 1912 qui permettent à BNSF de se raccorder de façon efficace à des points le long de la ligne de chemin de fer.

[95] L’Office conclut donc que la troisième sous-condition est satisfaite.

[96] L’Office a conclu que les trois sous-conditions du critère 1 sont satisfaites; par conséquent, le critère 1 est satisfait.

CRITÈRE 2 : IL EXISTE UN LIEU OÙ LES WAGONS PEUVENT ÊTRE GARÉS

Positions des parties

RIL

[97] En ce qui a trait au second critère, RIL fait valoir que les voies où les wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu’à livraison ou réception par la compagnie de chemin de fer raccordée n’ont pas à être situées exactement où se fait le raccordement physique entre les lignes des deux compagnies de chemin de fer.

[98] RIL affirme que le terme « lieu » dans la définition de « lieu de correspondance » doit plutôt être interprété de façon générale en tenant compte des différences physiques et des aspects pratiques des activités ferroviaires. À l’appui de cet argument, RIL renvoie à la décision no 35-R-2009.

[99] RIL indique qu’à Emerson‑Noyes, des installations pour le garage de wagons se trouvent des deux côtés de la frontière canado-américaine tout près du point de raccordement physique entre les deux lignes de chemin de fer.

[100] RIL soutient que les voies de CN à Emerson sont composées de la voie principale de CN, ainsi que des voies ci-après où les wagons peuvent être garés lors des échanges de trafic :

  • la gare de triage du centre-ville d’Emerson qui consiste en deux voies qui peuvent accueillir respectivement 20 et 18 wagons;
  • un embranchement, parfois nommé l’embranchement Ridgeville, qui se prolonge dans une direction plus à l’est à partir d’un point sur la voie principale de CN juste au sud de la gare de triage du centre‑ville d’Emerson, avec une capacité d’environ 65 wagons de 60 pieds;
  • une voie d’évitement située entre la rivière Rouge et la route provinciale 75 du Manitoba, ainsi qu’un triangle de virage et une voie en impasse se terminant près de la frontière canado‑américaine, qu’on appelle la jonction Emerson, dont la capacité totale est d’environ 90 wagons, y compris 60 sur la voie d’évitement à elle seule.

[101] RIL affirme que les voies de BNSF à Noyes sont composées de la voie principale, ainsi que des voies ci‑après où les wagons peuvent être garés lors des échanges de trafic :

  • deux voies, qui peuvent accueillir ensemble 55 wagons;
  • une courte voie utilisée par CN et BNSF pour dégager une locomotive de la voie principale lorsqu’une autre locomotive arrive en direction opposée.

[102] RIL soutient qu’au total, la capacité excède 190 wagons pouvant être garés sur les voies de CN à Emerson pour l’échange de trafic entre CN et BNSF.

[103] RIL est d’avis qu’une entente confidentielle subséquente datée en 1983 régit les dispositions sur le remorquage, selon lesquelles CN remorque le trafic de BNSF depuis Emerson jusqu’à Winnipeg, comme il est indiqué dans la décision no 35-R-2009.

[104] RIL indique que lors des échanges de trafic entre CN et BNSF à Emerson‑Noyes, les deux compagnies de chemin de fer traversent habituellement la frontière canado-américaine, mais plus particulièrement :

  • des équipes et des locomotives de BNSF déplacent les wagons en direction nord à travers la frontière, afin de les placer sur les voies de CN à l’embranchement Ridgeville, à la gare de triage du centre‑ville d’Emerson et, à l’occasion, sur la voie d’évitement de la jonction Emerson;
  • des locomotives et des équipes de CN placent les wagons en direction sud sur la voie de la jonction Emerson et sur les voies de BNSF à Noyes, puis retraversent la frontière vers le nord pour ramasser les wagons en direction nord à l’embranchement Ridgeville et à la gare de triage du centre‑ville d’Emerson;
  • des équipes et des locomotives de BNSF retournent au nord à Emerson pour ramasser les wagons en direction sud à partir de la voie de la jonction Emerson, pour les faire traverser la frontière et ramasser tout wagon laissé par CN sur les voies de BNSF à Noyes avant de continuer vers le sud.

[105] RIL est d’avis qu’en raison de la capacité ferroviaire limitée à Noyes, les échanges de trains‑blocs se font généralement sur la voie de CN à Emerson.

CN

[106] CN soutient que la capacité de la gare de triage du centre‑ville d’Emerson à laquelle RIL renvoie est moindre que ce que RIL décrit, car la voie d’évitement vers le nord de la voie principale est louée à un client pour son usage exclusif.

[107] CN affirme que la capacité à laquelle RIL fait référence comme étant la jonction Emerson et le triangle de virage de CN est moindre que ce que RIL décrit. La voie située à l’est de la voie principale est seulement composée de rails de 60 livres et ne peut pas servir pour le trafic qui fait l’objet de la présente demande. Le triangle de virage est nécessaire pour l’assemblage des trains, notamment pour les mouvements d’inversion des locomotives. CN ajoute que la carte schématique n’est pas à l’échelle et omet plusieurs caractéristiques qui restreignent la capacité de la voie et les activités ferroviaires, notamment des passages à niveau publics, une traversée de voie principale non enclenchée à niveau, et un pont ferroviaire qui traverse la rivière Rouge sur lequel les locomotives et les wagons ne doivent pas être garés et où l’aiguillage doit être réduit au minimum.

Analyse et constatations

[108] CN remet en question la capacité de garage indiquée par RIL qui existerait à sa gare de triage du centre‑ville d’Emerson, ainsi qu’à la jonction Emerson et au triangle de virage, mais ne fournit pas sa propre estimation de la capacité. CN fait plutôt valoir que les chiffres de RIL sont incorrects.

[109] De plus, CN ne remet pas en question l’affirmation de RIL selon laquelle les échanges entre BNSF et CN se font des deux côtés de la frontière canado-américaine et que les échanges de trains-blocs se font généralement sur la voie de CN à Emerson.

[110] CN n’a pas fourni de preuve pour contredire les renseignements présentés par RIL concernant la capacité de garage à Emerson ou pour contredire l’affirmation selon laquelle les deux transporteurs échangent du trafic sur le territoire sur lequel l’Office a compétence. L’Office conclut donc qu’Emerson est un lieu où les wagons peuvent être garés. Par conséquent, l’Office conclut qu’Emerson est un lieu de correspondance au sens de l’article 111 de la LTC.

[111] Par conséquent, l’Office conclut que le critère 2 est satisfait.

CRITÈRE 3 : LE LIEU DE CORRESPONDANCE EST SITUÉ DANS LES LIMITES DE LA ZONE D’INTERCONNEXION PRESCRITE

Positions des parties

RIL

[112] RIL fait valoir que si le point Emerson‑Noyes était considéré comme un lieu de correspondance à des fins d’interconnexion, l’infrastructure ferroviaire au silo de la rivière Rouge du Sud entrerait dans la définition de « voie d’évitement » et CN se qualifierait comme un « transporteur de tête de ligne » relativement au trafic en provenance du silo de la rivière Rouge du Sud.

[113] RIL affirme que, comme il est indiqué au paragraphe 127(3) de la LTC, lorsque l’origine ou la destination d’un mouvement continu se situe dans un rayon de 30 kilomètres d’un lieu de correspondance, une compagnie de chemin de fer peut seulement transférer le trafic au lieu de correspondance conformément au Règlement sur l’interconnexion.

[114] RIL affirme en outre que le silo de la rivière Rouge du Sud est situé dans les limites de la distance prescrite de 30 kilomètres du point sur la frontière canado-américaine où la ligne de chemin de fer de CN se raccorde à celle de BNSF et qui constitue un « lieu de correspondance » à des fins d’interconnexion.

CN

[115] CN n’a pas nié que le silo de la rivière Rouge du Sud serait situé dans les limites de la zone d’interconnexion si Emerson était considérée comme un lieu de correspondance à des fins d’interconnexion.

Analyse et constatations

[116] L’Office conclut qu’Emerson est un « lieu de correspondance » à des fins d’interconnexion conformément à la LTC et au Règlement sur l’interconnexion.

[117] De plus, l’Office conclut que le silo de la rivière Rouge du Sud, situé à 20 kilomètres au nord de la frontière canado-américaine, satisfait à l’exigence, car il est situé dans les limites de la zone 3 des zones d’interconnexion prescrites.

[118] Par conséquent, l’Office conclut que le critère 3 est satisfait.

AUTRES QUESTIONS

[119] Dans le cadre de ce cas, les deux parties ont tenté de recourir à des justifications d’ordre économique pour appuyer l’interconnexion demandée ou s’y opposer. Il a été utile de démontrer que les taux offerts par BNSF sont beaucoup plus bas que ceux offerts par CN, mais l’interconnexion est un droit statutaire des expéditeurs. L’Office n’était pas chargé d’évaluer toute offre que CN pourrait faire et de choisir entre l’offre et l’interconnexion. CN était en droit (et l’est d’ailleurs toujours) de faire des offres concurrentielles dans le cours normal de ses activités. L’Office était simplement chargé d’évaluer si les conditions de la LTC étaient satisfaites et, le cas échéant, d’accorder l’ordonnance.

[120] L’argument de CN selon lequel l’interconnexion réglementée n’a pas eu lieu, et est ainsi interdite, est particulièrement rejeté. Il s’agit d’un recours pro-concurrentiel, et la prépondérance de la preuve démontre qu’une possibilité d’affaires est survenue et que l’expéditeur a demandé l’interconnexion pour traiter cette affaire pour la première fois.

CONCLUSION

[121] À la lumière de ce qui précède, l’Office conclut que tous les critères précités relatifs à l’interconnexion sont satisfaits. Par conséquent, l’Office ordonne à CN, dès maintenant, de fournir des services d’interconnexion pour le trafic de RIL à Emerson, conformément à l’alinéa 7(2)c) du Règlement sur l’interconnexion.

Membre(s)

Raymon J. Kaduck
Geoffrey C. Hare
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