Décision n° 80-R-2013
DEMANDE déposée par Benninger Holdings Inc. et 575482 Ontario Limited, en vertu de l’article 102 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée.
INTRODUCTION ET QUESTION
Demande
[1] Benninger Holdings Inc. (BHI) et 575482 Ontario Limited (demanderesses) ont déposé une demande commune auprès de l’Office des transports du Canada (Office) en vertu des articles 102 ou 103 de la Loi sur les transports au Canada (LTC), en vue de faire construire un passage privé croisant la voie ferrée et l’emprise de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo dans les villes de Cambridge et Kitchener, dans la municipalité régionale de Waterloo, dans la province d’Ontario.
Question
[2] Les demanderesses ont-elles droit à un passage convenable à l’endroit en question en vertu de l’article 102 de la LTC?
Conclusion
[3] Comme l’indiquent les motifs qui suivent, l’Office a déterminé que BHI et 575482 Ontario Limited ont chacune établi qu’elles ont droit à un passage privé convenable au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo en vertu de l’article 102 de la LTC.
CONTEXTE
[4] Les terres que possèdent actuellement 575482 Ontario Limited (terre Scharringa) et BHI (terre BHI) sont contiguës, avec une allée partagée de 20 pieds. Les deux terres sont situées sur le lot 13, concession Beasley’s Broken Front. La terre Scharringa est située dans la partie nord du lot 13 et contiguë au lot 14. La terre BHI est située dans la partie sud du lot 13 et contiguë au lot 9. L’allée partagée de 20 pieds est formée par une bande de 10 pieds sur chaque propriété, la ligne médiane séparant la terre Scharringa et la terre BHI.
[5] Depuis 1904, il y avait un passage privé au point milliaire 7,40 de l’allée partagée; toutefois, en 2000, le passage a été « coupé » en raison d’un programme de remplacement de traverses, et CP ne l’a jamais rétabli.
[6] Le 11 avril 2001, CP a acheté de 575482 Ontario Limited une bande de terre le long de la ligne de chemin de fer. En 2002, CP a construit la cour de triage pré-départ Maple Grove (cour de triage) sur cette terre afin de desservir l’usine de Toyota à Cambridge; elle sert à préparer les wagons porte‑automobiles multi-niveaux pour le chargement. La cour de triage est située entre les points milliaires 6,67 et 7,26 de la subdivision Waterloo, soit 1 200 pieds environ au sud du point milliaire 7,40. La cour de triage comprend deux voies pré-départ (environ 1 895 pieds et 1 915 pieds), une voie de garage (environ 2 510 pieds) et une voie qui sert de voie de garage ou de pré-départ (environ 1 920 pieds).
[7] Intermarket CAM Limited (Intermarket) a conclu une convention d’achat-vente avec 575482 Ontario Limited en vertu de laquelle Intermarket a l’intention de devenir propriétaire d’une ou de plusieurs parcelles de terre contiguës à la ligne de chemin de fer qui les sépare. Intermarket et BHI (promoteurs) ont l’intention d’aménager conjointement les deux terres pour en faire un parc commercial d’une superficie de 225 acres appelé « Creekside Corporate Campus ». La phase un du projet d’aménagement de 80 acres comprendra des bureaux et des locaux commerciaux.
[8] Le 11 janvier 2013, Transports Canada (TC) a fait valoir que d’après sa connaissance de l’état du site, le passage privé demandé respecterait les exigences de Transports Canada en matière de ligne de visibilité comme elles sont énoncées dans les Exigences minimales relatives aux lignes de visibilité à tous les passages à niveau non munis de dispositifs d’avertissement automatique G4‑A, à la condition que la terre soit nivelée et que les triangles de visibilité au passage soient dégagés de tous obstacles.
Terre Scharringa
[9] Le 16 juin 1902, Preston and Berlin Railway Company Limited (PBRC), prédécesseur de CP, a acheté une parcelle de terre de John Gehman et Nancy Gehman (Gehman). Cette parcelle était une bande de terre de 66 pieds de largeur et représentait 1,33 acre de terre. Cet achat a fait en sorte que la parcelle de terre des Gehman a été divisée en deux par la compagnie de chemin de fer, pour se retrouver de part et d’autre de la ligne de chemin de fer.
[10] Les limites de la terre Scharringa sont tracées sur le Plan 58R-10710 déposé le 25 janvier 1997 auprès du bureau d’enregistrement des terres pour la Division des registres de Waterloo. Le plan indique les parties 1 et 2, situées du côté nord-est de la ligne de chemin de fer, et les parties 3, 4, 5 et 6, situées du côté nord-ouest de la ligne de chemin de fer. Le chemin inclut les parties 4, 6 et 2.
[11] La terre Scharringa, aux termes de l’acte 1409055, est grevée d’une servitude sur les parties 3 et 5 en faveur de la terre BHI, et aux termes de l’acte 1409056, est grevée d’une servitude sur la partie 1 en faveur de la terre BHI.
Terre BHI
[12] Le 17 juin 1902, PBRC a acheté une parcelle de terre de Jacob Shantz et Lydia Shantz (Shantz). La parcelle était constituée d’une bande de terre de 66 pieds de largeur, et représentait une superficie de 2,05 acres. Cet achat a fait en sorte que la parcelle de terre des Shantz a été divisée en deux par la compagnie de chemin de fer, pour se retrouver de part et d’autre de la ligne de chemin de fer.
[13] Les limites de la terre BHI sont tracées sur le Plan 67R-1448 déposé le 14 mars 1979. Le plan indique les parties 1, 18 et 19, situées du côté sud-est de la ligne de chemin de fer, et les parties 14, 15 et 16, situées du côté sud-ouest de la ligne de chemin de fer. L’allée comprend les parties 14, 16, 18 et 19.
POSITIONS DES PARTIES
Demanderesses
[14] Les demanderesses soutiennent que les promoteurs ont l’intention de transférer l’allée partagée à la municipalité et que celle-ci deviendra un chemin public. Néanmoins, les demanderesses font valoir que rien dans la LTC ne limite l’utilisation qu’un propriétaire foncier privé peut faire de ses terres ou d’un passage privé qui permet l’accès à ces terres. De plus, les demanderesses allèguent qu’il y a des précédents pour l’utilisation de passages privés à des fins d’accès public et commercial. Selon les demanderesses, si le droit à un passage existe, alors le passage doit être convenable, et CP n’a pas à dicter qui peut utiliser le passage ou les types de véhicules qui peuvent l’emprunter.
Terre Scharringa
[15] Les demanderesses font valoir qu’en raison de la succession des titres, la terre Scharringa des deux côtés de la ligne de chemin de fer appartient à un seul propriétaire depuis 1903, lorsque la terre a été divisée après la vente d’une bande de terre à la compagnie de chemin de fer.
[16] Les demanderesses ont déposé un résumé de la continuité de la propriété et un avis juridique sur les titres en date du 15 décembre 2012, rédigés par Anderson and Wylde, Barrister and Solicitors (AW). L’avis juridique et la chaîne de titres établissent la continuité de la propriété de la terre Scharringa. Selon AW, depuis la construction de la ligne de chemin de fer, la terre du côté nord‑est de la ligne de chemin de fer appartient au même propriétaire que la parcelle de terrain de 10 pieds située de l’autre côté de la ligne. AW fait valoir que le 5 février 1999, la Société immobilière de l’Ontario a transféré le titre de la terre Scharringa à 385855 Ontario Limited par l’enregistrement de deux actes. L’acte 1409058 visait le transfert des terres au nord‑est du corridor ferroviaire, parties 1 et 2, et l’acte 1409059 visait les terres entre la ligne de chemin de fer et la rue King, parties 3, 4, 5 et 6. AW fait remarquer que les transferts de titres comportent une clause restrictive selon laquelle les parties 3, 4, 5 et 6 ne peuvent être vendues ou hypothéquées qu’au propriétaire des parties 1 et 2.
Terre BHI
[17] Les demanderesses font valoir qu’en raison de la succession des titres, la terre BHI des deux côtés de la ligne de chemin de fer appartient à un seul propriétaire depuis 1903, lorsque la terre a été divisée après la vente d’une bande de terre à la compagnie de chemin de fer.
[18] L’avis juridique et la chaîne de titres préparés par AW établissent la chaîne de propriété de la terre BHI. Selon AW, depuis la construction de la ligne de chemin de fer, la terre du côté est de la ligne de chemin de fer appartient au même propriétaire que la parcelle de terrain de 10 pieds située de l’autre côté de la ligne.
CP
[19] Selon CP, un passage privé en vertu de l’article 102 de la LTC constitue un passage à utilisation restreinte pour permettre à un propriétaire foncier privé d’accéder à sa terre, et non un passage public utilisé pour un aménagement commercial ou de commerces de détail.
[20] CP soutient que les demanderesses ne demandent pas un passage pour leur propre accès à leur propriété, mais bien pour des entrepreneurs avec des camions et de la machinerie lourde en vue d’accéder à la propriété à des fins d’aménagement, et ultimement pour le grand public pour avoir accès à l’aménagement commercial et de commerces de détail proposé. CP se rapporte à l’arrêt Fafard c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, 2003 CAF 243 (Fafard), dans lequel on établit les distinctions entre les passages assujettis à la LTC. CP souligne que dans Fafard, l’Office a conclu que les articles 102 et 103 de la LTC portent sur l’accès d’un propriétaire à sa propriété privée, alors que l’article 101 porte sur les passages utilisés par le grand public. En outre, CP prétend que l’aménagement de la propriété, qui se traduira probablement par le transfert de la propriété à différents propriétaires, n’est pas une utilisation habituelle de la propriété privée par son propriétaire. CP conclut qu’en raison de la fonction et du but visés, les demanderesses demandent en fait un passage public.
[21] CP soutient que les demanderesses n’ont pas soumis une preuve suffisante pour s’acquitter du fardeau de la preuve relativement à un passage privé en vertu de l’article 102 de la LTC. CP fait remarquer que Coyne, dans Railway Law of Canada (Canada Law Book, Co., Toronto 1947) à la page 349, indique que le droit à un passage en vertu de l’article 102 de la LTC est perdu si le titre de la terre, qui est divisée par la construction de la ligne de chemin de fer, est scindé de telle sorte que la terre d’un côté de la ligne de chemin de fer est séparée de la terre de l’autre côté de la ligne, à moins d’une disposition expresse à cet égard.
[22] CP souligne que le point milliaire 7,40 est un point crucial en raison de l’emplacement de la cour de triage. CP fait valoir que le point milliaire 7,40 n’est pas un emplacement convenable pour un passage, car les activités de la cour de triage impliquent des manœuvres d’aiguillage de trains pouvant atteindre une longueur de 5 500 pieds en direction et à partir de la cour de triage plusieurs fois par jour, et que ces manœuvres d’aiguillage feraient en sorte qu’un passage à niveau au point milliaire 7,40 serait bloqué pendant de longues périodes tous les jours. CP soutient qu’un passage public au point milliaire 7,40 pour donner accès à un projet d’aménagement nuirait grandement à ses activités.
Terre Scharringa
[23] CP allègue que la petite parcelle de terrain de l’autre côté de la ligne de chemin de fer ne devrait pas donner le droit aux demanderesses d’accéder à la terre au-delà des limites prévues dans le titre original (lot 13) au moment où la terre a été divisée par la construction de la ligne de chemin de fer. En d’autres termes, la petite parcelle de terrain ne devrait pas donner le droit aux demanderesses d’accéder à d’autres terres, notamment les 225 acres devant être aménagés.
[24] CP fait valoir qu’en 1999 la terre Scharringa a été subdivisée, les parties 3, 4, 5 et 6 faisant l’objet de l’acte 1409058, et la partie 1 d’un acte distinct.
[25] CP a présenté un historique des titres de deux pages préparé par Fasken Martineau DuMoulin LLP (FMD), en date du 28 novembre 2012, et faisant état de la chaîne de titres de la terre Scharringa et de la terre BHI.Note 1
Terre BHI
[26] CP soutient que la terre BHI a été divisée et qu’aucun titre ou intérêt ne continue de s’appliquer à la terre de l’autre côté de la ligne de chemin de fer.
[27] Selon FMD, en 1904, après que Jacob Shantz, le propriétaire de la terre BHI, a acheté la terre Scharringa, l’intérêt à l’égard de l’allée/de l’emprise « a fusionné avec les droits », ce qui a entraîné l’élimination de l’intérêt à l’égard de l’allée/de l’emprise. En 1959, avec le transfert de titres de Benjamin Shantz à Delmer Wideman et Ortha Wideman, la terre BHI incluait l’allée de 20 pieds, soit 10 pieds de chaque côté de la ligne médiane entre la terre BHI et la terre Scharringa.
ANALYSE ET CONSTATATIONS
[28] Selon les documents déposés par les parties, il est possible de reconstituer les événements d’après la chaîne de titres énumérés à l’annexe A en ce qui concerne l’historique de la terre Scharringa et de la terre BHI. L’annexe A peut être établie en ce qui a trait à l’historique du lot 13.
Question préliminaire
[29] Les demanderesses ont déposé leur demande en vertu des articles 102 ou 103 de la LTC. CP maintient, et les demanderesses sont d’accord, que le passage privé demandé vise à servir d’accès aux terres situées du côté éloigné de la ligne de chemin de fer en vue d’aménager ces terres. Les demanderesses ont été franches en mentionnant que les promoteurs proposent d’aménager le « Creekside Business Park » sur ces terres, et aimeraient que l’allée partagée soit cédée à l’administration routière. CP fait valoir que puisque le passage sera utilisé pour aménager la terre, et ultimement pour accéder au parc commercial proposé, le passage sera en fait un passage public.
[30] En ce qui a trait à l’observation de CP voulant que le passage sera en fait un passage public, l’Office note que la LTC ne définit ni un passage privé ni un passage public. Les articles 102 et 103 de la LTC, précédés de l’intertitre « Passages », régissent en général les situations où le propriétaire d’une terre demande accès à sa propriété, tandis que l’article 101, sous l’intertitre « Franchissement routier et par desserte », traite en général des passages destinés au grand public. En outre, l’Office note que même si les demanderesses affirment que les promoteurs prévoient aménager la terre Scharringa et la terre BHI en un parc commercial, cette affirmation est hypothétique, car le passage demandé sera situé sur une terre privée et il n’y a aucune preuve qu’une administration routière accepte que le chemin soit déclaré public une fois le passage approuvé.
[31] La décision no 448-R-2004 fournit quelques éclaircissements relativement à la distinction entre l’article 101 et les articles 102 et 103 de la LTC. Dans cette décision, l’Office note que la LTC ne restreint pas l’application de l’article 101 de la LTC aux passages publics, mais que le paragraphe 101(5) précise que l’article 101 ne s’applique pas dans les cas où l’article 102 ou l’article 103 s’applique. Dans cette même décision, l’Office indique être d’avis que l’article 102 de la LTC s’applique dans les cas où « le propriétaire d’une terre à travers laquelle une compagnie de chemin de fer fait passer une ligne demande […] un passage convenable ». À la lumière de ce qui prédède, l’Office conclut en l’espèce que les demanderesses, en tant que propriétaires des terres en question divisées par la construction de la ligne de chemin de fer en 1903, ont la qualité nécessaire pour déposer une demande en vertu de l’article 102 de la LTC. Par conséquent, l’Office traitera la demande en vertu de l’article 102 de la LTC.
Article 102 – Droit prévu par la loi
[32] L’article 102 de la LTC prévoit que « la compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d’un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre. »
[33] Comme il est énoncé dans la décision no 185-R-2001, l’Office et les organismes qui l’ont précédé ont à maintes reprises fait valoir que le droit à un passage privé en vertu de l’article 102 de la LTC est acquis lorsqu’une voie ferrée traverse les terres d’un propriétaire de sorte que celles-ci sont divisées. Le maintien de ce droit est subordonné à la possession continue des terres de chaque côté de la voie. Cependant, toute division du titre de propriété des deux parcelles entraîne la perte du droit à un passage privé aux termes de l’article 102 de la LTC, à moins qu’une disposition particulière n’ait été prise à cet égard. Cela rejoint ce que fait valoir Coyne dans Railway Law of Canada, Canada Law Book Co., Toronto, 1947, à la page 349 (en ce qui concerne l’article 272 de la Loi sur les chemins de fer, L.C. (1927), ch. 170 – ultérieurement l’article 215 de la Loi sur les chemins de fer de 1985) :
[TRADUCTION] Un droit découle de cet article lorsque le chemin de fer passe sur les terres d’un propriétaire de façon à laisser une parcelle de terre de chaque côté du chemin de fer. Ce droit est perdu dès qu’il y a division complète du titre - Hillhouse c. CPR, 17 C.R.C. 427, 20 D.L.R. 907. Il n’y a pas de division complète du titre, et donc le droit à un passage n’est pas perdu, si le propriétaire des deux parcelles en cède une des deux et se réserve un droit de passage sur la parcelle vendue ou accorde un droit de passage sur l’autre parcelle : Ibid. T.H. & Ry c. Simpson, 8 C.R.C. 464, 17 O.L.R. 632.
[34] Il incombe aux demanderesses de prouver qu’il existe un droit à un passage privé aux termes de la Loi. Dans le cas présent, pour établir le droit à un passage en vertu de l’article 102 de la LTC, les demanderesses doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, la propriété historique jusqu’à ce jour des terres de chaque côté de la ligne de chemin de fer. La preuve de l’historique de la propriété de la terre est un élément clé pour établir un droit en vertu de l’article 102 de la LTC.
Terre Scharringa
[35] L’Office note que CP ne conteste pas que la terre Scharringa a été divisée par la construction de la ligne de chemin de fer en 1903.
[36] En ce qui a trait à la continuité de la propriété, CP ne conteste pas les observations des demanderesses relativement à l’historique de la chaîne des titres avant 1997 ou après 1999. Toutefois, CP fait valoir qu’en 1999, le titre de la terre Scharringa a été scindé lorsque deux actes ont été enregistrés pour la terre. Les demanderesses affirment que les actes comportent une restriction interdisant que les parcelles appartiennent à différents propriétaires. CP ne mentionne pas cette restriction.
[37] CP ne conteste pas que les actes ont été enregistrés la même journée et concernaient le transfert des titres des deux parcelles de terre au même propriétaire, 395855 Ontario Limited. Toutefois, les demanderesses prétendent que les actes comportaient une restriction, et CP n’aborde pas cette question. Bien que les demanderesses ou CP n’aient pas déposé lesdits actes, l’avis juridique d’AW fait remarquer que les transferts de titres comportent une clause restrictive établissant que les parties 3, 4, 5 et 6 ne peuvent être vendues ou hypothéquées qu’au propriétaire des parties 1 et 2. De plus, l’Office fait remarquer que sans les parties 3, 4, 5 et 6, les parties 1 et 2 sont inaccessibles de la rue King.
[38] En s’appuyant sur les présentations des parties dans cette affaire, l’Office est d’avis que les actes de transfert comportent une restriction garantissant que les deux parcelles de terrain appartiendront au même propriétaire qui les aura hypothéquées, ce qui empêche la division complète de la terre, même si sa propriété est enregistrée sur deux actes différents. L’Office est d’avis que la restriction établie dans les actes constitue une disposition spécifique suffisante pour assurer que la terre Scharringa ne puisse être complètement divisée. L’Office conclut donc que le titre de la terre Scharringa n’a pas été complètement divisé. Par conséquent, l’Office conclut que les demanderesses ont établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’un droit prévu par la loi à un passage privé aux termes de l’article 102 de la LTC existe relativement à la terre Scharringa.
Terre BHI
[39] L’Office note que CP ne conteste pas que la terre BHI a été divisée par la construction de la ligne de chemin de fer en 1903.
[40] En ce qui a trait à la continuité de la propriété, CP ne conteste pas les observations des demanderesses relativement à l’historique des titres fonciers après 1904. Toutefois, CP soutient qu’en 1904, l’emprise le long de l’allée a été perdue lorsque Jacob Shantz, propriétaire de la terre BHI, est aussi devenu le propriétaire de la terre Scharringa, et que l’emprise n’est réapparue dans les documents de titres fonciers qu’en 1959. CP ne conteste pas que la parcelle de la terre BHI où l’allée est située a été séparée de la majeure partie de la terre BHI, seulement que l’intérêt à l’égard de l’allée/l’emprise a cessé d’exister jusqu’en 1959. CP tente de lier la continuité d’une emprise sur l’allée et la continuité de la propriété de la terre divisée. Toutefois, l’Office ne considère pas que l’existence continue d’une emprise soit pertinente. Pourvu que le titre de la terre située de chaque côté de la ligne de chemin de fer ne soit pas scindé, la continuité de la propriété est maintenue et le droit prévu par la loi à un passage privé en vertu de l’article 102 demeure. Puisque le titre de la terre BHI n’a pas été scindé, l’Office conclut que les demanderesses ont établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’un droit prévu par la loi à un passage privé en vertu de l’article 102 de la LTC existe relativement à la terre BHI.
Passage convenable
[41] CP soutient qu’un passage convenable ne peut être construit au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo en raison des activités de la cour de triage.
[42] L’Office a conclu précédemment qu’un droit à un passage convenable a été établi en vertu de l’article 102 de la LTC.
[43] La Cour d’appel fédérale dans Fafard, a noté aux paragraphes 5 et 10, que lorsqu’un droit à un passage convenable a été établi en vertu de l’article 102 de la LTC, une compagnie de chemin de fer n’a d’autre choix que de construire un passage approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place :
[...] qualifié d’impératif l’article 102 [...] L’article 102 couvre la situation préjudiciable d’un propriétaire qui voit sa terre divisée en deux par une ligne de chemin de fer. La compagnie de chemin de fer n’a pas le choix : elle doit construire un passage convenable pour le propriétaire de la terre qui, autrement, serait privé de la jouissance d’une partie de celle-ci, et elle doit le faire à ses propres frais. Il s’agit là de l’obligation que le législateur lui a imposée.
[...]
Enfin, la notion de « passage convenable » (en anglais, “suitable crossing”) que l’on retrouve à l’article 102 et au paragraphe 103(1) de la Loi, par définition, comporte un élément de sécurité. Un passage convenable est un passage adéquat et approprié pour les fins auxquelles il est destiné et mis en place.
[44] Le « caractère convenable » n’est pas défini dans la LTC. Cependant, l’Office a abordé cette question (dans le contexte d’une demande pour un passage privé en vertu de l’article 103) dans l’arrêté no 1998-R-307 :
Dans le cas en instance, l’Office juge que la construction d’un passage à cet endroit est nécessaire à la jouissance, par les propriétaires, de leur terre puisque les demandeurs ont utilisé le passage depuis plusieurs années et que ce passage leur procure un accès plus direct et plus commode au chemin public situé du côté nord de l’emprise ferroviaire. L’Office est d’avis qu’un passage convenable à cet endroit consiste en un passage qui permettra d’accéder au chemin public, lorsque requis, et dont l’accès ne sera pas bloqué pour de trop longues périodes de temps. Dans l’éventualité où les parties ne pourront s’entendre sur ce qui constitue de trop longues périodes de temps, une demande pourra être présentée à l’Office pour que celui-ci rende une décision à cet effet.
Par conséquent, l’Office [...], ordonne par les présentes au CN de construire un passage convenable [...].
[45] Compte tenu de l’arrêt Fafard, l’Office est d’avis que la difficulté et les coûts requis pour réaménager la cour de triage ne sont pas des critères valides pour rejeter la demande. Comme l’Office l’a noté dans la décision no 311-R-1990 dans laquelle il a enjoint à l’intimée de construire un passage convenable pour la demanderesse (en vertu de l’article 115 de la Loi sur les chemins de fer de 1985 – maintenant l’article 102 de la LTC), le principe général est plutôt le suivant :
CP n’est pas relevé de son obligation de fournir un passage en vertu de l’article 215 de la Loi sur les chemins de fer en raison des conditions difficiles. Si un passage à niveau ne constitue pas un passage convenable, le CP devrait étudier la possibilité de construire un passage inférieur ou un passage supérieur ou trouver un autre moyen de permettre à M. Taylor d’accéder à sa terre.
[46] Ayant conclu qu’un droit à un passage convenable a été établi en vertu de l’article 102 de la LTC, et en tenant compte du fait qu’aucune raison de sécurité n’empêche sa construction, l’Office conclut que CP doit fournir un passage convenable aux demanderesses.
COÛTS
[47] Les demanderesses demandent l’adjudication des frais relativement à la demande conformément à l’article 25.1 de la LTC. Selon les demanderesses, le refus de CP à fournir un passage a causé un retard coûteux.
[48] En ce qui a trait à de telles demandes, l’Office a pour usage de n’adjuger les frais que dans des circonstances particulières ou exceptionnelles. L’Office conclut que les circonstances de la présente affaire ne sont pas particulières ou exceptionnelles et rejette donc la demande des demanderesses.
CONCLUSION
[49] L’Office conclut que les demanderesses ont fourni une preuve suffisante pour soutenir un droit à un passage privé pour la terre Scharringa et la terre BHI en vertu de l’article 102 de la LTC. La terre Scharringa et la terre BHI ont été divisées par la compagnie de chemin de fer en 1903. De plus, la terre Scharringa n’a pas été complètement divisée par deux transferts de titre distincts en raison de la restriction voulant que les terres appartiennent au même propriétaire qui les a hypothéquées, et la terre BHI n’a pas été divisée. Puisque les demanderesses ont demandé qu’un seul passage soit construit sur l’allée partagée de 20 pieds de largeur au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo, l’Office accorde aux demanderesses un passage au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo, ou à proximité de ce point. En tenant compte du fait qu’aucune raison de sécurité n’empêche sa construction, l’Office conclut que CP doit fournir un passage convenable aux demanderesses. À la lumière de cette conclusion, l’Office n’est pas tenu de déterminer si les demanderesses ont droit à un passage privé en vertu de l’article 103 de la LTC.
ORDONNANCE
[50] L’Office enjoint à CP de fournir un passage convenable au point milliaire 7,40 de la subdivision Waterloo, ou à proximité de ce point. Les coûts de construction et d’entretien du passage seront assumés par CP. De plus, si les parties ne peuvent s’entendre relativement à ce qui constitue un passage convenable, elles peuvent demander une détermination de l’Office.
ANNEXE A À LA DÉCISION No 80-R-2013
Résumé des actes de transfert de la terre BHI et de la terre Scharringa (les dates indiquent la date de l’acte ou d’enregistrement).
Terre Scharringa
16 juin 1902 (Acte 15857) – Preston and Berlin Railway Company Limited, prédécesseur de CP, achète une parcelle de terre de John A. Gehman et Nancy Gehman.
28 avril 1904 (Acte 16339) – John Wismer achète la terre de John A. Gehman.
2 mai 1904 (Acte 16353) – Jacob Shantz achète la terre de John Wismer.
2 mai 1904 (Acte 16354) – Irvin Shantz achète la terre de Jacob Shantz.
26 mai 1943 (Acte 34841) – Clarence Shantz et Salome Shantz achètent la terre d’Irvin Shantz.
1er mars 1965 (Acte 294662) – Calgor Holdings Ltd. achète la terre de Clarence Shantz et Salome Shantz.
19 août 1966 (Acte 330215) – Renmore Developments achète la terre de Calgor Holdings Ltd.
28 juin 1968 (Acte 375488) – John M. Harper en fiducie achète la terre de Renmore Developments.
8 novembre 1968 (Acte 384586) – La Société de logement de l’Ontario achète la terre de John M. Harper en fiducie.
6 mai 1997 (Acte 1336050) – La Société immobilière de l’Ontario achète la terre de la Société de logement de l’Ontario.
5 février 1999 (Actes 1409058 et 1409059) – 395855 Ontario Ltd achète la terre de la Société immobilière de l’Ontario.
14 avril 2000 (Acte 1454231) – 575482 Ontario Ltd achète la terre de 395855 Ontario Ltd.
Terre BHI
17 juin 1902 (16008) – Preston and Berlin Railway Company Limited, prédécesseur de CP, achète une parcelle de terrain de Jacob Shantz et Lydia Shantz.
10 septembre 1909 (18576) – Benjamin Shantz achète la terre de Jacob Shantz.
15 juin 1959 (186584) – Delmar Wideman et Ortha Wideman achètent la terre de Benjamin Shantz.
14 janvier 1971 (5000182) – Eat N’Putt Ltd achète la terre de Delmar Wideman et Ortha Wideman.
30 juillet 1993 (1179780) – Rosaceous Enterprises Ltd achète la terre de Eat N’Putt Ltd.
7 avril 1994 (1208967) – Gert Andersen achète la terre de Rosaceous Enterprises Ltd.
30 juin 2000 (1462607) – Benninger Holdings Inc. achète la terre de Gert Andersen.
Notes
- Note 1
-
Le document mentionne que quatre croquis sont inclus; toutefois, un seul croquis a été présenté.
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