Lettre-décision n° LET-AT-C-A-38-2023

le 23 octobre 2023

Demande présentée par Edwina Brooks (demanderesse) contre Air Canada, Air Transat et WestJet (défenderesses) concernant un obstacle allégué à ses possibilités de déplacement avec son animal de soutien émotionnel (ASE)

Numéro de cas : 
21-50109

Résumé

[1] La demanderesse a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre les défenderesses concernant leur refus de répondre à ses besoins en transportant son ASE en cabine lors d’un vol à destination de Londres, Royaume-Uni.

[2] La demanderesse soutient qu’elle doit se déplacer avec son ASE parce qu’elle souffre d’anxiété chronique, de crises de panique, de dépression et de phobie sociale. Au début de 2021, la demanderesse a communiqué avec les défenderesses pour réserver un vol à destination du Royaume-Uni avec son chien en tant qu’ASE, mais les défenderesses l’ont informée qu’elles ne transportaient plus d’ASE et que seuls les chiens d’assistance pouvaient être transportés en cabine lors des vols à destination du Royaume-Uni.

[3] La demanderesse réclame une ordonnance pour que les défenderesses transportent les ASE et pour que le terme « ASE » soit remplacé par « chien d’assistance » afin de ne pas automatiquement désigner le propriétaire comme étant une personne qui a un trouble de santé mentale.

[4] Le 16 juillet 2021, l’Office a émis la décision LET-AT-C-A-49-2021. Dans cette décision, l’Office a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner de mesures provisoires et a ouvert les actes de procédure concernant la demande. L’Office a également conclu que le chien de la demanderesse ne correspond pas à la définition d’un chien d’assistance aux termes du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées (RTAPH) et que, par conséquent, son chien est un ASE.

[5] Le 17 décembre 2021, l’Office a émis la décision LET-AT-C-A-65-2021 dans laquelle il a refusé la requête des défenderesses visant le rejet de la demande et a donné comme directive à la demanderesse de remplir le formulaire de renseignements médicaux (FRM) de l’Office à l’appui de son allégation de handicap.

[6] Le 25 janvier 2022, la demanderesse a déposé le FRM. Le 15 février 2022, les défenderesses ont déposé une réponse conjointe et le 25 février 2022, la demanderesse a déposé une réplique.

[7] Le 7 janvier 2023, la demanderesse a déposé une demande d’ordonnance provisoire exigeant qu’Air Transat réponde à ses besoins en transportant son ASE dans la cabine de l’aéronef lors d’un vol de Toronto (Ontario) à Manchester, Royaume-Uni, à la fin du mois de janvier 2023. Le 16 février 2023, l’Office a émis la décision LET‑AT‑A‑7‑2023 dans laquelle il a rejeté la demande d’ordonnance provisoire de la demanderesse.

[8] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur les questions suivantes :

  1. La demanderesse est-elle une personne handicapée?
  2. La demanderesse a-t-elle rencontré un obstacle?
  3. Existe-t-il des règlements sur l’accessibilité pris au titre de la Loi sur les transports au Canada (LTC) qui s’appliquent au cas présent et qui auraient une incidence sur les recours dont dispose la demanderesse si l’Office concluait à l’existence d’un obstacle abusif?

[9] Pour les motifs énoncés ci-dessous, l’Office conclut que :

  1. La demanderesse est une personne handicapée;
  2. La demanderesse a rencontré un obstacle lorsque les défenderesses ont toutes refusé de répondre à ses besoins en transportant son chien en cabine en tant qu’ASE lors d’un vol à destination du Royaume-Uni en mars 2021;
  3. Aucun règlement sur l’accessibilité pris au titre de la LTC ne s’applique à cet incident. L’Office a donc le pouvoir d’ordonner toute mesure corrective prévue dans la LTC s’il conclut, au cours de la partie 2 de la présente instance, que l’obstacle est abusif.

Contexte

[10] L’Office a mené des consultations sur la phase II du RTAPH, qui comprenaient un examen de ce qu’il fallait exiger, le cas échéant, des fournisseurs de services de transport en ce qui concerne le transport des ASE et des animaux d’assistance autres que les chiens, et a examiné les questions liées aux ASE de façon plus complète et systématique que ne le permettrait un processus décisionnel individuel.

[11] Les consultations de l’Office sur la phase II du RTAPH ont pris fin le 28 février 2020. L’Office a indiqué par la suite dans son rapport « Ce que nous avons entendu », publié le 26 novembre 2020, que les commentaires reçus durant ces consultations ne l’ont pas orienté vers des solutions réglementaires claires pour encadrer le transport des ASE et qu’il continuerait d’étudier les options et de traiter au cas par cas les demandes concernant des ASE déposées auprès de l’Office par des passagers handicapés.

[12] Le processus décisionnel individuel de l’Office cherche à atteindre un juste équilibre entre les droits d’une personne handicapée de prendre pleinement part à la société sans discrimination et les autres facteurs en présence qui pourraient constituer une contrainte excessive pour les fournisseurs de services de transport — comme ceux liés à la santé, à la sécurité ou aux conséquences financières d’une mesure d’accommodement. Pour ce qui est des cas liés aux ASE dont il était saisi, l’Office était d’avis que ses processus décisionnels devaient non seulement prendre en compte ces facteurs dans le contexte particulier des transporteurs qui étaient parties, mais aussi examiner les conséquences plus vastes pour le réseau de transport fédéral et les autres usagers qui l’empruntent.

[13] L’Office a commandé un rapport d’expertise vétérinaire afin de mieux comprendre les facteurs qui interviennent dans le transport d’animaux à bord des divers modes de transport de compétence fédérale. Le 6 juillet 2022, l’Office a publié sur son site Web le Rapport d’expertise sur le transport d’animaux de soutien émotionnel à bord du matériel de transport (rapport d’expertise).

[14] En décembre 2022, l’Office a publié le résumé détaillé des présentations qu’il a reçues concernant les ASE pendant les consultations sur la phase II du RTAPH. L’Office est d’avis que les comptes rendus de ces consultations renferment un large éventail d’éléments de preuve concrets provenant d’un groupe de parties et de personnes intéressées de tous horizons. Ils présentent une gamme complète de droits, d’intérêts et de préoccupations concernant la présence d’ASE dans le réseau de transport fédéral.

[15] Le 14 décembre 2022, l’Office a joint la demande de la demanderesse à cinq autres demandes dans lesquelles les demanderesses réclament le droit de prendre les transports avec un animal qui a ou qui pourrait avoir le statut d’ASE. L’Office a joint ces demandes dans la décision LET-AT-55-2022 (décision préliminaire sur les ASE) pour étudier de façon plus efficace et selon un point de vue plus général la question de savoir s’il faudrait exiger que les transporteurs acceptent les ASE dans le réseau de transport fédéral, et si oui, à quelles conditions.

[16] Dans la décision préliminaire sur les ASE, l’Office a étudié la question de savoir si les ASE peuvent être transportés sans que les transporteurs se voient imposer une contrainte excessive, dans des situations où une demanderesse a démontré qu’elle a un handicap attribuable à un trouble de santé mentale et a besoin qu’un ASE l’accompagne dans les transports. Dans son analyse, l’Office a tenu compte des caractéristiques et des contraintes uniques des environnements de transport aérien et ferroviaire de passagers; a examiné les conséquences pour les autres éléments du réseau de transport fédéral dans son ensemble; et a cherché à trouver un juste équilibre entre l’accommodement des personnes qui ont besoin d’un ASE et la santé et la sécurité des autres usagers du réseau de transport fédéral, notamment d’autres personnes handicapées qui ont leurs propres besoins liés à un handicap, en particulier les autres usagers qui se déplacent avec des chiens d’assistance, le public voyageur et le personnel des transports.

[17] L’Office a donné aux parties et aux personnes intéressées l’occasion de répondre aux conclusions préliminaires de l’Office selon lesquelles :

  • les transporteurs se verront imposer une contrainte excessive s’ils sont tenus d’accepter d’autres espèces que des chiens en tant qu’ASE;
  • les chiens domestiqués pourraient en général faire de bons ASE, mais si le transport de chiens de soutien émotionnel (CSE) n’est pas réglementé, les transporteurs se verraient imposer une contrainte excessive en raison des risques pour la santé et la sécurité; des inquiétudes concernant le comportement et le bien‑être de l’animal; et des conséquences des fausses déclarations visant à faire passer des animaux de compagnie pour des CSE;
  • sous réserve de conditions et de garanties appropriées, les transporteurs pourraient transporter certains CSE sans se voir imposer de contraintes excessives.

[18] L’Office a reçu des présentations concernant la décision préliminaire sur les ASE de la plupart des parties, y compris la demanderesse, Air Canada et WestJet, et a tenu compte de leurs présentations. Air Transat n’a pas formulé de commentaires. Comme indiqué dans la décision LET-105-AT-C-A-2023 (décision définitive sur les ASE), l’Office est convaincu que le fondement de la preuve pour sa décision est solide et que l’éventail complet des points de vue sur les questions concernant les ASE a été pris en compte tout au long du processus ayant mené à la décision préliminaire sur les ASE.

[19] Dans la décision définitive sur les ASE, l’Office a confirmé les conclusions préliminaires susmentionnées et a établi des conditions raisonnables pour gérer les risques inhérents au transport des CSE. L’une de ces conditions est que le CSE doit pouvoir être transporté confortablement dans une cage de transport convenable qui doit entrer et demeurer sous le siège qui se trouve devant la personne handicapée pour la durée du vol.

[20] Après avoir rendu la décision définitive sur les ASE, l’Office s’est penché à nouveau sur la demande de la demanderesse afin de décider des questions en suspens.

La loi

Accessibilité

[21] L’Office a le pouvoir de se prononcer sur des demandes dans lesquelles une personne affirme qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées dans le réseau de transport fédéral.

[22] L’Office détermine s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement d’une personne handicapée au moyen d’une approche en deux parties :

Partie 1 : Il revient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités :

    • qu’il a un handicap, c’est-à-dire toute déficience notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, tout trouble d’apprentissage ou de la communication (ou toute limitation fonctionnelle) de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société;

et

    • qu’il a rencontré un obstacle, c’est-à-dire tout élément — notamment un élément de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. Il doit y avoir un certain lien entre le handicap et l’obstacle.

Partie 2 : Si l’Office détermine qu’un demandeur a un handicap et qu’il a rencontré un obstacle, il incombe alors à la défenderesse de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

    • expliquer, en tenant compte des solutions proposées par le demandeur, comment elle propose d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;

ou

    • démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[23] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la partie 1 de son approche en deux parties.

Portée des pouvoirs de l’Office d’ordonner des mesures correctives

[24] Lorsque l’Office conclut qu’il existe un obstacle abusif, il a le pouvoir d’ordonner que la défenderesse prenne les mesures correctives indiquées et, s’il y a lieu, verse à la personne handicapée une indemnité pour les frais que cette dernière a supportés ou les pertes de salaire qu’elle a subies en raison de l’obstacle abusif. L’Office a également le pouvoir d’ordonner le versement d’une indemnité pour les souffrances et les douleurs subies en raison de l’obstacle abusif ou une indemnité lorsque l’obstacle abusif résulte d’un acte délibéré ou inconsidéré, jusqu’à un maximum de 20 000 CAD chacun (sous réserve de rajustements annuels).

[25] Toutefois, la LTC limite la portée de ces pouvoirs d’ordonner des mesures correctives si l’Office est convaincu que le transporteur s’est conformé ou n’a pas contrevenu aux dispositions réglementaires applicables en matière d’accessibilité prises au titre de la LTC. Par conséquent, l’Office doit déterminer s’il existe des règlements sur l’accessibilité pris au titre de la LTC qui s’appliquent au cas présent afin de déterminer les recours dont la demanderesse peut se prévaloir.

[26] Dans la présente décision, l’Office se penchera sur la question de savoir si des règlements sur l’accessibilité s’appliquent.

1. La demanderesse est-elle une personne handicapée?

Positions des parties

La demanderesse

[27] La demanderesse soutient qu’elle a un trouble de santé mentale, car elle souffre d’anxiété chronique, de crises de panique, de dépression et de phobie sociale. La demanderesse soutient que, lorsque ses crises surviennent, elles sont extrêmement débilitantes et effrayantes. Elle a déposé une lettre d’un médecin datée du 21 avril 2021, qui indique qu’elle a besoin d’être accompagnée par un chien de soutien en cabine lors des vols en raison de problèmes psychologiques, notamment d’anxiété chronique et de dépression. La demanderesse soutient qu’en raison de son handicap, elle ne peut pas se déplacer sans le soutien de son chien.

[28] Dans le FRM, le médecin décrit les troubles de la demanderesse comme de l’anxiété chronique, de la dépression et des crises de panique, et ses symptômes comme de la morosité, de l’inquiétude, de la nervosité et de l’agitation. Le médecin indique que la demanderesse est suivie par son médecin généraliste et qu’elle n’a pas besoin de soins spécialisés à l’heure actuelle. Le médecin indique que la gravité des symptômes de la demanderesse est modérée et que, selon la demanderesse, son chien lui apporte un soutien et soulage ses symptômes lorsqu’ils sont exacerbés pendant les vols. Le médecin indique que la demanderesse prend des médicaments.

Les défenderesses

[29] Les défenderesses soutiennent que la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve d’un handicap suffisamment convaincants, ce qui a amené l’Office à demander le FRM dans la décision LET-AT-C-A-65-2021.

[30] Les défenderesses renvoient à la décision 4-AT-A-2010 (Nugent c Air Canada) en ce qui concerne l’approche de l’Office pour déterminer le handicap et déclarent que toute personne qui dépose une demande doit démontrer qu’elle a un handicap et qu’elle a des limitations fonctionnelles ou des restrictions de participation dans le cadre du réseau de transport fédéral. De plus, les défenderesses indiquent qu’il doit y avoir un lien entre l’obstacle et le handicap de la personne. Les défenderesses soutiennent que la demanderesse n’a pas démontré en quoi son trouble médical constitue un handicap qui nuit à sa participation pleine et égale à la société.

[31] Les défenderesses soutiennent que, bien que le FRM indique que la demanderesse a un trouble de santé mentale décrit comme de l’anxiété chronique, de la dépression et des crises de panique, aucun renseignement supplémentaire n’est fourni pour détailler une quelconque limitation fonctionnelle. En ce qui concerne les symptômes, les défenderesses soutiennent que même si la gravité est indiquée comme « modérée », ils semblent suffisamment maîtrisables pour ne pas nécessiter les soins d’un spécialiste.

[32] Les défenderesses soutiennent donc que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer qu’elle a un handicap.

Analyse et détermination

[33] Dans certains cas, comme la paraplégie, la quadriplégie et la cécité, le handicap est évident, en ce sens que la nature des symptômes associés au trouble constitue toujours un handicap dans le contexte du transport. D’autres troubles ne représentent pas un handicap en soi puisqu’ils sont composés d’un large éventail de symptômes, de légers à graves, qui varient d’une personne à l’autre. Dans de tels cas, la détermination d’un handicap dépendra de la gravité des symptômes de la personne et de leur incidence sur elle, en particulier dans le contexte du transport. Pour évaluer ces cas, l’Office peut utiliser la Classification internationale des maladies, 11révision (CIM-11) de l’Organisation mondiale de la santé, qui est un document de référence diagnostique largement utilisé par les professionnels de la santé.

[34] La CIM-11 reconnaît l’anxiété chronique, la dépression et les crises de panique comme des déficiences. Par conséquent, l’Office accepte les éléments de preuve médicale indiquant que la demanderesse est atteinte de ces déficiences. Cependant, bien que la demanderesse mentionne également la phobie sociale comme une déficience, aucun des médecins ne fait référence à la phobie sociale dans ses présentations. Par conséquent, l’Office conclut qu’il n’y a pas d’élément de preuve à l’appui de la détermination d’un handicap lié à la phobie sociale.

[35] Dans le FRM, le médecin fournit des éléments de preuve de limitations d’activités en indiquant que la demanderesse souffre d’anxiété chronique, de dépression et de crises de panique. Les symptômes liés à ces conditions sont la morosité, l’inquiétude, la nervosité et l’agitation, et ils sont définis comme étant d’une gravité modérée. Le médecin indique également que la demanderesse prend des médicaments pour ces troubles. L’Office conclut que le fait de souffrir d’anxiété chronique, de dépression et de crises de panique de gravité moyenne, et d’avoir besoin de médicaments pour gérer les symptômes qui y sont liés, est suffisant pour déterminer que la demanderesse a des limitations d’activité.

[36] La demanderesse soutient qu’elle est totalement incapable de se déplacer sans son chien, et la lettre du médecin du 21 avril 2021 indique qu’elle a besoin du soutien de son chien pendant les vols. La demanderesse indique également que la recherche d’un autre moyen de transport lui a causé du stress et a nui à son état de santé. L’Office conclut que la lettre du médecin du 21 avril 2021 confirme que la demanderesse a besoin de son chien pendant les vols et que les renseignements médicaux au dossier démontrent des restrictions de participation évidentes étant donné qu’elle ne peut pas utiliser le transport aérien de façon autonome. De plus, l’Office note que les symptômes de la demanderesse sont exacerbés pendant les vols, ce qui indique en outre qu’elle subit des restrictions de participation lorsqu’elle utilise le transport aérien.

[37] L’Office conclut donc que la demanderesse est une personne handicapée en raison de son anxiété chronique, de sa dépression et de ses crises de panique.

2. La demanderesse a-t-elle rencontré un obstacle?

Positions des parties

La demanderesse

[38] La demanderesse soutient qu’elle a communiqué avec chacune des défenderesses pour réserver un vol de Toronto à destination du Royaume-Uni et qu’elle leur a fourni la lettre de son médecin du 21 avril 2021, qui confirme qu’elle souffre d’anxiété chronique et de dépression et qu’elle a besoin du soutien de son chien pour se déplacer. La demanderesse soutient qu’elle a fourni les renseignements demandés à tous les bureaux de soins médicaux spéciaux des défenderesses.

[39] Au moment de présenter sa demande, la demanderesse a indiqué que son chien était un caniche toy âgé de 13 ans et pesant 15,1 livres. Dans sa réponse à la décision préliminaire sur les ASE, la demanderesse indique que son chien est un caniche miniature pesant 9,5 livres, et qu’il peut être placé dans une cage de transport sous le siège qui se trouve devant elle dans un aéronef.

[40] La demanderesse indique qu’elle a besoin du soutien de son chien lorsqu’elle doit sortir et lorsqu’elle se trouve dans des situations stressantes, car c’est à ce moment-là que surviennent ses crises d’anxiété et de panique. Elle affirme que son chien peut sentir son anxiété et la distraire en lui donnant de petits coups de tête, en la tapotant avec sa patte ou en demandant à ce qu’elle le prenne dans ses bras, ce qui détourne son attention, atténue son anxiété et prévient les crises de panique. La demanderesse indique que les défenderesses lui ont toutes indiqué qu’elles n’accepteraient pas de transporter son chien en cabine lors d’un vol puisqu’il n’est pas considéré comme un chien d’assistance.

[41] La demanderesse indique que les défenderesses l’ont informée qu’elles ont cessé de transporter des ASE en cabine dès le début de 2020. La demanderesse soutient qu’en interdisant à un chien d’accompagner son maître en cabine, les défenderesses interdisent aussi à la personne de prendre un vol, ce qui constitue un obstacle, et que cela exclut et discrimine les personnes ayant un trouble de santé mentale qui souhaitent utiliser le transport aérien et qui ont besoin du soutien de leur chien pour le faire. La demanderesse fournit des recommandations sur la façon dont les ASE pourraient être désignés comme des chiens d’assistance, y compris un certificat médical, une lettre d’un vétérinaire, des attestations de dressage et un numéro d’enregistrement. La demanderesse fait valoir que le stress lié au fait de devoir trouver un autre moyen de transport nuit considérablement à son état et à sa santé en général.

Les défenderesses

[42] Les défenderesses font référence au FRM et soulignent que le médecin a écrit que, selon la demanderesse, son chien lui apporte un soutien et soulage ses symptômes lorsqu’ils sont exacerbés pendant les vols. Les défenderesses soutiennent que l’utilisation des termes « selon la demanderesse » suggère qu’il ne s’agit pas d’un conseil du médecin ni d’une recommandation stricte du médecin, mais de la préférence de la demanderesse.

[43] Les défenderesses indiquent que le FRM ne contient pas de renseignements qui expliquent comment le fait de se déplacer sans le chien crée un obstacle ni quelle tâche le chien accomplit pour éliminer l’obstacle allégué. De plus, les défenderesses soutiennent que même si le FRM contenait des renseignements qui démontreraient que le fait de se déplacer sans le chien constituerait un obstacle pour la demanderesse, il n’y a aucun renseignement qui indique s’il existe d’autres façons d’éliminer l’obstacle, par exemple le fait qu’une personne accompagne la demanderesse dans ses déplacements. Les défenderesses soutiennent que cet aspect est particulièrement important étant donné que le chien ne répond pas aux exigences de dressage et de certification des chiens d’assistance.

[44] Les défenderesses soutiennent qu’il n’y a pas privation d’avantages et qu’il n’y a pas de différence de traitement entre la demanderesse et les autres passagers qui souhaitent se déplacer avec leurs animaux. Toute personne qui souhaite prendre un vol avec son animal de compagnie peut le faire, sous réserve des limites de taille normalisées, de l’utilisation d’une cage de transport pour animaux de compagnie et des restrictions relatives à l’entrée dans chaque pays, comme celles qui existent au Royaume-Uni. Les défenderesses indiquent que le Royaume-Uni applique des restrictions strictes en ce qui concerne les animaux qui peuvent entrer au pays. Même lorsqu’un passager se déplace avec un animal d’assistance, il doit communiquer avec les autorités britanniques compétentes pour obtenir une autorisation d’entrée au Royaume-Uni.

[45] Les défenderesses soutiennent donc que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer qu’elle a rencontré un obstacle.

Analyse et détermination

[46] Lorsque les défenderesses ont refusé la demande de mesure d’accommodement de la demanderesse, celle-ci n’a pas pu prendre de vol, ce qui a nui à sa participation pleine et égale au réseau de transport.

[47] Bien que les défenderesses soutiennent que le besoin de la demanderesse de se déplacer avec son chien est simplement une préférence et non une recommandation de son médecin, l’Office conclut que la lettre de son médecin du 21 avril 2021 confirme que la demanderesse a besoin du soutien de son chien pour se déplacer.

[48] Bien que les défenderesses soutiennent également que le FRM ne contient pas de renseignements expliquant les tâches que le chien accomplit, les ASE n’accomplissent pas de tâches; leur simple présence apporte un réconfort et un soutien émotionnel aux personnes qui ont un trouble de santé mentale. L’Office a déjà conclu dans la décision LET-AT-C-A-49-2021 que le chien de la demanderesse est un ASE et non un chien d’assistance, car le chien a été dressé par son maître pour son handicap et n’a pas été certifié par une organisation ou une personne spécialisée dans le dressage des chiens d’assistance. Par conséquent, la question de savoir si le chien accomplit une tâche n’est pas pertinente.

[49] La demanderesse a fourni des détails sur la façon dont son chien peut sentir son anxiété et ses crises de panique et interagit avec elle pour détourner son attention, soulager son anxiété et prévenir les crises. Les éléments de preuve démontrent que la demanderesse se déplace avec son chien pour soulager les symptômes causés par son handicap. En fait, la demanderesse indique que le stress lié au fait de devoir trouver un autre moyen de transport nuit considérablement à son état et à sa santé en général.

[50] L’Office conclut donc que la demanderesse a rencontré un obstacle lorsque les défenderesses ont toutes refusé de répondre à ses besoins en transportant son chien en cabine en tant qu’ASE lors d’un vol à destination du Royaume-Uni en mars 2021.

3. Existe-t-il des règlements sur l’accessibilité pris au titre de la LTC qui s’appliquent au cas présent et qui auraient une incidence sur les recours dont dispose la demanderesse si l’Office concluait à l’existence d’un obstacle abusif?

[51] Étant donné que le chien de la demanderesse n’est pas un chien d’assistance et qu’il n’y a pas de règlement pris au titre de la LTC concernant les ASE, l’Office conclut qu’aucun règlement ne s’applique au cas présent. Par conséquent, si l’obstacle est jugé abusif, l’Office peut ordonner toute mesure corrective prévue dans la LTC, à savoir des mesures correctives et une indemnité pour les frais supportés, les pertes de salaire, les souffrances et les douleurs subies, ainsi que pour les actes délibérés ou inconsidérés.

Prochaines étapes

[52] L’Office conclut que la demanderesse est une personne handicapée et qu’elle a rencontré un obstacle lorsque les défenderesses ont toutes refusé de répondre à ses besoins en transportant son chien en cabine en tant qu’ASE lors d’un vol à destination du Royaume-Uni en mars 2021.

[53] L’Office donne aux défenderesses l’occasion soit :

  • d’expliquer, en tenant compte des solutions proposées par la demanderesse, comment elles proposent d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à la règle, à la politique, à la pratique, à la technologie ou à la structure physique visée ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement personnalisée;
  • de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles ne peuvent pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[54] En outre, à la lumière de la décision LET-AT-C-A-65-2021, si les défenderesses ont l’intention de soulever des questions concernant la disponibilité d’un formulaire de méthode de fonctionnement pour le transport d’animaux de compagnie ou de chiens d’assistance en cabine (RMOP), qui leur permettrait de répondre aux besoins des personnes handicapées, elles doivent le faire dans leur réponse à la présente décision.

[55] Les défenderesses ont jusqu’à 17 h, heure locale de Gatineau, le 6 novembre 2023, pour déposer une réponse auprès de l’Office et en fournir une copie à la demanderesse et aux autres défenderesses, après quoi la demanderesse aura trois jours ouvrables pour déposer une réplique auprès de l’Office et en fournir une copie aux défenderesses.

[56] Toute la correspondance et les actes de procédure doivent renvoyer au cas 21-50109 et être déposés à l’adresse électronique du Secrétariat de l’Office à secretariat@otc-cta.gc.ca.


Dispositions en référence Identifiant numérique (article, paragraphe, règle, etc.)
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 169.5; 172(1); 172(2); 172(3); partie V

Membre(s)

Elizabeth C. Barker
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