Décision n° 61-C-A-2017

le 28 mars 2017
DEMANDE présentée par Geethaa Yoganathanng contre Emirates.
Numéro de cas : 
16-05830

RÉSUMÉ

[1] Geethaa Yoganathanng a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) contre Emirates concernant le retard dans la livraison de sa pièce de bagage enregistrée et le refus d’Emirates de l’indemniser pour toutes les dépenses supportées en conséquence de ce retard.

[2] Mme Yoganathanng demande un remboursement de 46 028 roupies indiennes (INR) [911,63 $ CAN] pour des vêtements et des cadeaux qu’elle a dû acheter en raison du retard dans la livraison de sa pièce de bagage. Elle demande aussi le remboursement des frais de transport qu’elle a supportés en raison de ce retard pour se rendre à l’aéroport international de Chennai (aéroport) et au bureau d’Emirates et en revenir.

[3] L’Office se penchera sur la question suivante :

Emirates a-t-elle correctement appliqué les conditions énoncées dans les règles 55(B)(3) et 55(C)(9) de son tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 503 (tarif) en ce qui concerne le retard de bagages (lequel tarif incorpore par renvoi la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal [Convention de Montréal]), comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, modifié (RTA)? Si Emirates n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans les règles 55(B)(3) et 55(C)(9) de son tarif, quel recours, le cas échéant, est à la disposition de Mme Yoganathanng?

[4] Pour les raisons indiquées ci-après, l’Office conclut qu’Emirates n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans les règles 55(B)(3) et 55(C)(9) de son tarif. Par conséquent, l’Office ordonne à Emirates de verser à Mme  Yoganathanng une indemnisation de 676,69 $ CAN, au plus tard le 27 avril 2017.

CONTEXTE

[5] Mme Yoganathanng a acheté un billet aller-retour auprès d’Emirates pour un voyage dont le départ de Toronto (Ontario), Canada à Chennai, en Inde via Dubaï, Émirats arabes unis était prévu le 2 mars 2016, et dont le retour de Chennai à Toronto via Dubaï était prévu le 9 mars 2016. Plus précisément, Mme Yoganathanng a pris le vol n° EK242 d’Emirates de Toronto à Dubaï, lequel est arrivé à destination le 3 mars 2016, et le vol n° EK542 de Dubaï à Chennai, lequel est arrivé à destination le 4 mars 2016.

[6] La pièce de bagage enregistrée de Mme Yoganathanng a été retardée et elle n’a donc pas pu la récupérer à son arrivée à l’aéroport le 4 mars 2016. Elle a communiqué avec Emirates, et une enquête a été ouverte pour suivre et localiser la pièce de bagage retardée.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[7] Dans leurs présentations, les parties ont fait référence à des discussions privées au cours desquelles des offres de règlement ont été proposées. De telles communications sont protégées par le principe prévu en common law concernant le privilège relatif aux règlements. Ce principe prévoit que les communications échangées entre des parties qui tentent de régler un différend sont inadmissibles en preuve et ne peuvent pas être versées aux archives, à moins que les deux parties en conviennent autrement (voir Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., [2014] 1 R.C.S. 800, aux paragraphes 31 et 32). L’Office n’a donc pas tenu compte de ces renseignements dans son examen de la demande.

LA LOI

[8] Les dispositions de la Convention de Montréal, ainsi que les dispositions législatives et tarifaires pertinentes à cette affaire sont présentées en annexe.

POSITION DE MME YOGANATHANNG

[9] Mme Yoganathanng soutient qu’elle s’est rendue à Chennai pour assister à un événement, et qu’elle n’a pas reçu sa pièce de bagage jusqu’au jour de son vol de retour à Toronto.

[10] Mme Yoganathanng fait valoir qu’elle a rempli un formulaire de perte de bagages, puis a quitté l’aéroport. Elle ajoute qu’elle a appelé le bureau d’Emirates en Inde concernant sa pièce de bagage perdue et qu’on l’a informée qu’elle devait retourner à l’aéroport pour vérifier sa réclamation. Elle affirme qu’elle a dû se rendre à l’aéroport et au bureau d’Emirates à Nungambakkam à plusieurs reprises, à ses propres frais.

[11] Mme Yoganathanng affirme qu’elle a fait plusieurs autres appels au bureau d’Emirates, et qu’on lui a dit que sa pièce de bagage arriverait à l’aéroport le 8 mars 2016 à 10 h. Toutefois, selon elle, sa pièce de bagage n’a pas été livrée là où elle séjournait, et elle a dû payer d’autres frais de transport pour se rendre à l’aéroport afin de la récupérer. Selon Mme Yoganathanng, on lui a livré sa pièce de bagage seulement quelques heures avant son vol de retour.

[12] Mme Yoganathanng fait valoir qu’Emirates lui a offert une indemnisation pour sa pièce de bagage retardée, mais que le montant offert ne couvrait pas toutes ses dépenses pour les articles qu’elle a dû acheter en conséquence du retard dans la livraison de sa pièce de bagage.

POSITION D’EMIRATES

[13] Emirates indique qu’elle a communiqué avec Mme Yoganathanng le 6 mars 2016 pour l’informer que sa pièce de bagage lui serait remise dans les 24 heures. Emirates ajoute que la pièce de bagage a été livrée à Mme Yoganathanng le 7 mars 2016. Emirates affirme que Mme Yoganathanng a continué d’acheter des articles après avoir récupéré sa pièce de bagage.

[14] En ce qui a trait au montant de l’indemnisation que demande Mme Yoganathanng, Emirates fait valoir qu’elle n’a pas démontré qu’elle assistait à un mariage (qu’elle a qualifié d’«événement»), ni prouvé que des cadeaux se trouvaient dans la pièce de bagage retardée. De plus, Mme Yoganathanng n’a pas précisé la valeur de ces cadeaux ni fourni de reçu.

[15] Emirates fait valoir qu’en droit canadien, comme il est résumé dans l’affaire Sreih c. Middle-East Airline-Airliban (2013) QCCQ 2630 (Sreih c. MEA), elle n’est pas tenue d’indemniser un passager pour des achats déraisonnables si celui-ci n’a pris aucune mesure d’atténuation. Emirates soutient que conformément aux principes juridiques de dédommagement au Canada, Mme Yoganathanng s’enrichirait de façon injuste si elle recevait un autre versement, du fait qu’elle a récupéré sa pièce de bagage retardée (et les cadeaux allégués qu’elle renfermait). Selon Emirates, à des fins d’équité, un tribunal canadien exigerait que Mme Yoganathanng rembourse à Emirates le montant de l’enrichissement injuste (toute indemnité payée serait remboursée).

[16] Emirates indique que la responsabilité maximale qui lui reviendrait relativement au retard de la pièce de bagage s’élève à 7 954 INR (157,01 $ CAN). Ce montant comprend cinq saris et quatre churidars, ce qui, selon Emirates, est plus que suffisant pour la période pendant laquelle Mme Yoganathanng n’avait pas sa pièce de bagage. S’appuyant sur Sreih c. MEA, Emirates fait valoir que tout achat supplémentaire de vêtements n’était pas raisonnable compte tenu du fait que Mme Yoganathanng avait l’une de ses pièces de bagage et que l’autre pièce de bagage a été retardée seulement pendant une courte période.

[17] Emirates affirme qu’un tribunal canadien conclurait que Mme Yoganathanng n’a pas subi de dommage/perte, car la pièce de bagage retardée et les cadeaux allégués qu’elle renfermait lui ont été remis avant qu’elle quitte l’Inde.

ANALYSE ET DÉTERMINATION

[18] Conformément à un principe bien établi sur lequel l’Office s’appuie lorsqu’il examine de telles demandes, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas correctement appliqué les conditions de transport énoncées dans son tarif ou qu’il ne les a pas appliquées de façon uniforme.

[19] La règle 55(B)(3) du tarif prévoit ce qui suit : [traduction] «Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal, les règles de responsabilité prévues dans celle-ci font partie intégrante du présent texte et prévalent sur, voire remplacent, toutes les dispositions du présent tarif qui seraient contraires auxdites règles.»

[20] L’article 19 de la Convention de Montréal exige qu’un transporteur aérien verse une indemnisation aux passagers dont les bagages ont été retardés; cette exigence est assujettie aux limites prévues à l’article 22 de cette même convention. Cette exigence est également assujettie à la condition que le transporteur ait pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage.

[21] Mme Yoganathanng affirme avoir récupéré sa pièce de bagage à l’aéroport le 9 mars 2016, juste avant de prendre son vol de retour. Toutefois, Emirates affirme la lui avoir livrée le 7 mars 2016.

[22] Lorsque des versions contradictoires des événements sont présentées par les parties, l’Office a statué précédemment, et plus récemment dans la décision no 426-C-A-2013 (Gibbins c. Société Air France exerçant son activité sous le nom d’Air France), qu’il incombe au demandeur d’établir que sa version est la plus probable. Lorsqu’il examine les éléments de preuve, l’Office doit déterminer laquelle des versions est la plus probable, selon la prépondérance de la preuve.

[23] À l’appui de son argument, Emirates a déposé un reçu de livraison de bagages signé en date du 7 mars 2016. L’Office conclut que, selon cette preuve, Emirates a livré la pièce de bagage retardée à Mme Yoganathanng le 7 mars 2016. L’Office conclut également que, selon la prépondérance des probabilités, Emirates ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour remettre la pièce de bagage à Mme Yoganathanng à son arrivée, comme l’exige l’article 19 de la Convention de Montréal.

[24] À l’appui de sa demande, Mme Yoganathanng a déposé des reçus précisant la date et l’heure de l’achat des articles pour lesquels elle demande une indemnisation. Plus particulièrement, elle a déposé les reçus suivants, totalisant 46 028 INR.

  • le 4 mars 2016 (14 h 45) : 3 730 INR pour des vêtements et d’autres articles;
  • le 4 mars 2016 (16 h 14) : 21 880 INR pour des vêtements et d’autres articles;
  • le 4 mars 2016 (16 h 51) : 3 560 INR pour des vêtements;
  • le 5 mars 2016 (17 h 33) : 3 750 INR pour des vêtements;
  • le 5 mars 2016 (20 h 50) : 1 570 INR pour des vêtements et un autre article;
  • le 5 mars 2016 (20 h 50) : 3 949 INR pour des vêtements et d’autres articles;
  • le 7 mars 2016 (21 h 05) : 2 800 INR pour des vêtements;
  • le 7 mars 2016 (21 h 13) : 980 INR pour des vêtements;
  • le 8 mars 2016 (l’heure n’est pas indiquée) : 3 809 INR pour des vêtements.

[25] La règle 55(C)(9) du tarif prévoit, en partie, ce qui suit : [traduction] « La responsabilité du transporteur ne dépassera en aucun cas la perte réelle subie par le passager. Une preuve du montant de la perte est exigée pour toutes réclamations. »

[26] Mme Yoganathanng a demandé une indemnisation pour les frais de transport qu’elle a supportés pour se rendre à l’aéroport et au bureau d’Emirates, mais elle n’a pas indiqué le montant d’indemnisation qu’elle demande. L’Office rejette donc cet élément de la demande.

[27] L’article 22(2) de la Convention de Montréal limite la responsabilité du transporteur en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard de bagages à la somme de 1 131 droits de tirage spéciaux (DTS) [environ 2 007 $ CAN] par passager.

[28] Emirates a d’abord offert à Mme Yoganathanng une indemnisation d’un montant inférieur à celui qu’elle réclame. Mme Yoganathanng fait valoir que cette indemnisation ne couvre pas le coût de tous les articles qu’elle a achetés ni les frais de transport.

[29] Emirates soutient que les achats que Mme Yoganathanng a effectués sont déraisonnables, qu’elle n’a pris aucune mesure d’atténuation et que, conformément à Sreih c. MEA, Emirates n’a la responsabilité d’indemniser Mme Yoganathanng que pour les articles qu’elle a achetés pour ses besoins immédiats durant la période pendant laquelle sa pièce de bagage était retardée.

[30] Dans la décision no353-C-A-2012 (Shetty c. Air Canada), l’Office a indiqué ce qui suit :

[…] ce qui est raisonnable dans une situation ne l’est peut-être pas dans une autre. Chaque situation doit être évaluée selon ses propres mérites à la lumière des circonstances précises du cas. L’Office est d’avis que, dans les circonstances, MmeShetty a fourni une explication raisonnable pour les achats qu’elle a effectués. L’Office accepte qu’au moment où elle est allée magasiner pour acheter des articles de remplacement, Mme Shetty ne pouvait pas être certaine du moment où elle récupérerait ses bagages.

[31] Dans le cas présent, Mme Yoganathanng fait valoir qu’elle voyageait pour assister à un événement et que les articles qu’elle a achetés venaient remplacer ce qui se trouvait dans la pièce de bagage retardée, soit des vêtements pour l’événement et des cadeaux pour sa famille. Par conséquent, l’Office conclut que, conformément à Shetty c. Air Canada, Mme Yoganathanng a fourni une explication raisonnable pour les achats qu’elle a effectués.

[32] L’Office note que même s’il a conclu qu’Emirates a livré la pièce de bagage à Mme Yoganathanng le 7 mars 2016, et non pas le 9 mars 2016 comme MmeYoganathanng le prétend, en vertu des articles 19 et 22(2) de la Convention de Montréal (lesquels sont incorporés par renvoi dans le tarif), Emirates est responsable du dommage occasionné par le retard jusqu’à la somme maximale de 1 131 DTS. L’Office conclut donc que Mme Yoganathanng a droit à une indemnisation s’élevant à 38 439 INR (676,69 $ CAN) pour les achats qu’elle a effectués avant le 7 mars 2016.

[33] Par conséquent, l’Office conclut que Mme Yoganathanng a droit à une indemnisation conformément à la Convention de Montréal pour le dommage occasionné par le retard de sa pièce de bagage, et qu’elle a fourni suffisamment de preuves pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a supporté des dépenses totalisant 38 439 INR (676,69 $ CAN), soit un montant représentant la valeur de remplacement des articles dont elle a eu besoin pendant que sa pièce de bagage était retardée.

[34] En fonction de ce qui précède, l’Office conclut qu’Emirates n’a pas correctement appliqué les conditions énoncées dans les règles 55(B)(3) et 55(C)(9) de son tarif, qui incorpore par renvoi la Convention de Montréal, et qu’elle a donc contrevenu au paragraphe 110(4) du RTA.

ORDONNANCE

[35] En vertu de l’article 113.1 du RTA, l’Office ordonne à Emirates de verser à Mme Yoganathanng une indemnisation de 676,69 $ CAN, au plus tard le 27 avril 2017.


ANNEXE

Tarif d’Emirates intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff, NTA(A) No. 503

Règle 55(B)(3)

[traduction]

Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal, les règles de responsabilité prévues dans celle-ci font partie intégrante du présent texte et prévalent sur, voire remplacent, toutes les dispositions du présent tarif qui seraient contraires auxdites règles.

Règle 55(C)(9)

[traduction]

Si la Convention de Montréal s’applique au voyage d’un passager, toute responsabilité du transporteur pour les bagages enregistrés et non enregistrés est limitée à la somme maximale de 1 131 droits de tirage spéciaux (environ 1 735 $ US/1 848 $ CA) par passager à moins qu’une valeur supérieure soit déclarée à l’avance et que des frais supplémentaires soient payés en vertu du tarif du transporteur. La responsabilité du transporteur ne dépassera en aucun cas la perte réelle subie par le passager. Une preuve du montant de la perte est exigée pour toutes réclamations.

Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international – Convention de Montréal

Article 19 – Retard

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

Article 22(2) – Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises

Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 131 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. […]

Membre(s)

P. Paul Fitzgerald
Date de modification :