Décision n° 107-C-A-2022
DEMANDE présentée par Lisa Crawford et son enfant mineur (demandeurs) contre Air Canada (défenderesse), au titre du paragraphe 67(3) de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (CTA), relativement à une annulation de vol.
[1] Les demandeurs devaient prendre un vol de Fort St. John (Colombie-Britannique) à Halifax (Nouvelle-Écosse), via Vancouver (Colombie-Britannique) et Ottawa (Ontario), le 28 août 2021, dont le départ était prévu à 5 h 30 et l’arrivée à 20 h 18. Cependant, le 27 août 2021, la défenderesse a avisé les demandeurs qu’elle avait annulé le vol de Fort St. John à Vancouver exploité par JazzNote 1, en raison de contraintes d’équipage issues de la pandémie de COVID-19. Un nouvel itinéraire a été réservé pour les demandeurs, dont le départ était prévu 11 heures plus tard, soit à 16 h 30, et l’arrivée à Halifax à 11 h 31 le lendemain. La date du départ, le vol des demandeurs de Vancouver à Ottawa a été retardé de 1 heure et 18 minutes et leur vol d’Ottawa à Halifax a été retardé de 51 minutes. Les demandeurs sont arrivés à Halifax 15 heures et 41 minutes plus tard que l’heure d’arrivée prévue initialement.
[2] Le demandeurs ont demandé une indemnisation pour inconvénients au titre du Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA)Note 2; la défenderesse a rejeté leur demande au motif que le vol avait été annulé en raison de contraintes d’équipage attribuables aux effets de la pandémie de COVID-19, lesquelles contraintes la défenderesse considérait comme un souci de sécurité.
[3] Dans la présente décision, le rôle de l’Office des transports du Canada (Office) consiste à décider si la défenderesse a correctement appliqué son tarifNote 3aux billets que les demandeurs ont achetés. Les dispositions pertinentes de la LTC, du RPPA et du tarif sont énoncées à l’annexe.
[4] La preuve démontre que les demandeurs ont subi trois perturbations de vol au cours de leur itinéraire à destination d’Halifax.
[5] Dans la décision 122-C-A-2021 (décision d’interprétation du RPPA), l’Office affirme que lorsqu’un passager subit un retard en raison de multiples perturbations de vol, il est nécessaire de tenir compte de tous les vols ayant contribué à l’arrivée en retard du passager à la destination indiquée sur son billet initial, et de déterminer la raison principale du retard cumulé ou le facteur y ayant contribué le plus considérablement. Les facteurs pertinents pour déterminer la raison principale de la perturbation ou le facteur y ayant contribué le plus considérablement comprennent ce qui a causé le plus long retard et les questions de savoir si un vol de correspondance a été manqué et si les différentes perturbations ont un lien causal.
[6] L’Office conclut que l’annulation du vol des demandeurs de Fort St. John à Vancouver, laquelle a fait manquer aux demandeurs leurs vols de correspondance initiaux et a retardé leur arrivée à Halifax de 11 heures, constitue la raison principale de leur retard cumulé de 15 heures et 41 minutes ou le facteur y ayant le plus considérablement contribué.
[7] Au titre du tarif et du RPPA, les indemnisations pour les inconvénients sont dues uniquement si l’annulation était attribuable à la défenderesse.
[8] Comme l’Office l’a énoncé dans la décision 89-C-A-2022 (Lareau v WestJet), bien que le fardeau de la preuve repose sur le demandeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le transporteur n’a pas appliqué correctement les règles qui s’appliquent à son billet, lorsqu’un transporteur affirme qu’une perturbation lui était attribuable, mais qu’elle était nécessaire par souci de sécurité, ou qu’elle ne lui était pas attribuable, le transporteur doit établir le bien-fondé de son affirmation. Puisque les informations pertinentes sont en la possession du transporteur et qu’il serait impossible pour le passager d’avoir autrement accès à ces informations, le transporteur est responsable de fournir les éléments de preuve pour justifier de quelle façon il catégorise une perturbation.
[9] Dans le cas présent, les demandeurs font valoir qu’ils avaient droit à une indemnisation au motif que l’annulation découlait d’un problème d’effectifs attribuable à la défenderesse.
[10] La demande d’indemnisation des demandeurs a initialement été rejetée par la défenderesse au motif que l’annulation lui était attribuable, mais qu’elle était nécessaire par souci de sécurité. Cependant, la position de la défenderesse devant l’Office est que l’annulation ne lui était pas attribuable. La défenderesse soutient que le vol a été annulé parce que le premier officier n’avait pas terminé la formation d’appoint exigée par le Règlement de l’aviation canadienNote 4,avant l’exploitation du vol. La défenderesse soutient en outre que plusieurs événements qui ne relevaient pas de sa responsabilité ont nui à ses démarches pour mettre en œuvre des plans de continuité, et elle a fourni des documents à l’appui. Plus précisément, elle fait valoir que ses plans de continuité ont été perturbés par les effets de la pandémie de COVID-19 et l’arrivée du variant Delta, l’adoption de mesures gouvernementales et de nouvelles lois sur le droit du travail, des problèmes liés à l’exploitation et des problèmes d’effectifs auprès d’intervenants tiers essentiels, de même que des circonstances qui ont mené à des problèmes d’engorgement relatifs à la formation.
[11] La grande majorité des éléments de preuve fournis par la défenderesse était constitué de documents à l’appui de sa position selon laquelle ces divers événements ont eu une incidence sur l’ensemble du réseau au cours de l’été 2021. Bien que la défenderesse ait fourni un rapport de disponibilité des équipages de réserve qui montrait la non-disponibilité de deux membres de l’équipage de réserve basés à l’aéroport international de Vancouver au moment de la perturbation, elle n’a pas abordé les circonstances particulières de l’annulation du vol des demandeurs. Elle affirme que les transporteurs ne peuvent être tenus d’imputer à des événements précis une perturbation spécifique ni de fournir des informations sur le déroulement précis d’un vol en particulier.
[12] Bien que l’Office reconnaisse que les événements décrits par la défenderesse sont révélateurs d’un environnement d’exploitation difficile pour les transporteurs en général, la défenderesse n'explique pas ce qui s’est produit dans les circonstances précises qui ont mené à la perturbation de vol dans le cas présent, lesquelles circonstances doivent être évaluées pour déterminer les obligations de la défenderesse envers les demandeurs. Contrairement aux présentations de la défenderesse, afin de déterminer les obligations d’un transporteur au titre du RPPA, les circonstances entourant les vols précis concernés doivent être examinées, notamment les vols antérieurs lorsqu’un effet domino a lieu. Les transporteurs devraient donc fournir des preuves liées aux circonstances particulières d’une perturbation dans le contexte d’une demande présentée auprès de l’Office.
[13] De plus, comme l’indique la décision d’interprétation du RPPA, même si des situations indépendantes de la volonté du transporteur ou celles attribuables au transporteur, mais nécessaires par souci de sécurité, contribuent à une pénurie de membres d’équipage, il est quand même possible d’arriver à la conclusion que cette pénurie est attribuable au transporteur, selon que le transporteur a préparé et mis en place des plans de continuité raisonnables pour faire appel à un équipage de remplacement. Cette situation doit être évaluée au cas par cas et le transporteur doit déposer auprès de l’Office des preuves relatives à ses plans de continuité.
[14] L’Office a aussi récemment conclu dans Lareau v WestJet que le seuil pour établir qu’une pénurie de membres d’équipage n’est pas attribuable au transporteur est élevé, étant donné qu’en général, les transporteurs ont le contrôle sur les problèmes d’effectifs, tels que l’embauche, les affectations et la formation. L’Office a indiqué que les transporteurs doivent démontrer qu’ils ne pouvaient pas prévenir de façon raisonnable la perturbation malgré une planification adéquate, et ils doivent fournir des éléments de preuve qui montrent que la pénurie de membres d’équipage n’était pas attribuable à leurs propres actions ou à leur inaction.
[15] Les exigences réglementaires relatives à la formation sont prévisibles et périodiques, et les transporteurs doivent planifier leurs activités en conséquence. Une planification adéquate est particulièrement importante compte tenu de l’environnement d’exploitation décrit par la défenderesse. Si un transporteur planifie des vols sans d’abord s’assurer qu’un nombre suffisant de membres d’équipage possédant les qualifications nécessaires sont inscrits à l’horaire de service, l’Office peut conclure qu’une perturbation qui en découle est attribuable à la décision opérationnelle du transporteur et qu’elle relève donc de sa responsabilité.
[16] L’Office conclut que, dans le cas présent, la défenderesse aurait dû savoir avant le 27 août 2021 que le premier officier qui devait exploiter le vol des demandeurs n’avait pas suivi la formation obligatoire. Malgré ce qui précède, les arguments de la défenderesse et les éléments de preuve déposés n’abordent pas les mesures prises pour remplacer le premier officier avant cette date, ni pourquoi l’annulation a eu lieu uniquement le jour avant le départ prévu du vol. La défenderesse n’indique pas si d’autres possibilités que l’annulation ont été envisagées, ni si un plan de continuité était en place pour veiller à ce que d’autres premiers officiers étaient disponibles en cas de pénurie de membres d’équipage.
[17] En l’absence de preuves qui établissent que la pénurie de membres d’équipage était inévitable malgré une planification adéquate, ou qui démontrent que l’annulation n’était pas attribuable aux actions ou à l’inaction de la défenderesse, l’Office conclut que l’annulation du vol des demandeurs de Fort St. John à Vancouver était attribuable à la défenderesse.
[18] Conformément à l’alinéa 12(3)d) et le sous-alinéa 19(1)a)(iii) du RPPA et la règle 80(B)(2)(d) du tarif, les demandeurs ont droit à une indemnité pour inconvénients de 1 000 CAD chacun.
ORDONNANCE
[19] En vertu de l’article 67.1 de la LTC, l’Office ordonne à la défenderesse de verser à chaque demandeur une indemnité de 1 000 CAD le plus tôt possible, mais au plus tard le 11 octobre 2022.
ANNEXE À LA DÉCISION 107-C-A-2022
Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10
67.1 S’il conclut, sur dépôt d’une plainte, que le titulaire d’une licence intérieure a, contrairement au paragraphe 67(3), appliqué à l’un de ses services intérieurs un prix, un taux, des frais ou d’autres conditions de transport ne figurant pas au tarif, l’Office peut, par ordonnance, lui enjoindre :
a) d’appliquer un prix, un taux, des frais ou d’autres conditions de transport figurant au tarif;
b) d’indemniser toute personne lésée des dépenses qu’elle a supportées consécutivement à la non-application du prix, du taux, des frais ou
des autres conditions qui figuraient au tarif;
c) de prendre toute autre mesure corrective indiquée.
Règlement sur la protection des passagers aériens, DORS/2019-150
Obligations – attribuable au transporteur
…
Annulation de vol
12(3) Dans le cas de l’annulation, le transporteur :
…
d) s’ils ont été informés quatorze jours ou moins avant l’heure de départ indiquée sur leur titre de transport initial que leur arrivée à la
destination indiquée sur ce titre de transport sera retardée, verse aux passagers l’indemnité minimale prévue à l’article 19 pour les
inconvénients subis.
…
Indemnité pour retard ou annulation de vol
19(1) Si les alinéas 12(2)d) ou (3)d) s’appliquent au transporteur, celui-ci verse l’indemnité minimale suivante :
a) dans le cas d’un gros transporteur :
…
(iii) si l’heure d’arrivée du vol du passager à la destination indiquée sur le titre de transport initial est retardée de neuf heures ou plus, 1000 $;…
Domestic Tariff General Rules Applicable to the Transportation of Passengers and Baggage, CTA(A) 3.
Remarque : Le tarif d’Air Canada a été déposé en anglais seulement.
RULE 80 – SCHEDULE IRREGULARITIES
…
B. Schedule Irregularities
…
(2) In the event of a Schedule Irregularity that is within Air Canada's control:
…
d) Compensation
If, due to a delay or cancellation within Air Canada’s control, passenger arrives with a delay at arrival of three hours or more, Air Canada will provide compensation in accordance with APPR. Only the operating carrier will provide compensation;
…
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