Détermination n° A-2022-112

le 29 août 2022

DEMANDES présentées par Air Canada et WestJet pour des exemptions temporaires à l’application du paragraphe 19(4) du Règlement sur la protection des passagers aériens, DORS/2019-150 (RPPA).

Numéro de cas : 
22-24605

[1] Le 20 juillet 2022, Air Canada a déposé une demande auprès de l’Office des transports du Canada (Office) pour une exemption à l’application du paragraphe 19(4) du RPPA, qui oblige les transporteurs à répondre dans les 30 jours aux demandes d’indemnisation qu’ils reçoivent de passagers dont le vol a été retardé ou annulé. Air Canada demande qu’on lui accorde 60 jours pour répondre aux demandes présentées entre le 1er juin 2022 et le 30 septembre 2022.

[2] Le 22 juillet 2022, WestJet a déposé une demande pour la même exemption, mais pour les demandes présentées entre le 15 juin 2022 et le 30 septembre 2022.

[3] Comme les demandes sont similaires, l’Office répondra aux deux demandes dans cette même détermination.

[4] Les deux demanderesses invoquent des problèmes touchant l’industrie aérienne qui ont entraîné des hausses sans précédent des demandes d’indemnisation par des passagers au titre du RPPA. En conséquence de ces hausses, elles font valoir qu’il n’est pas souhaitable ni commode qu’elles respectent le paragraphe 19(4) du RPPA.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office rejette les demandes d’exemption.

LA LOI

[6] Les transporteurs aériens doivent verser des indemnités pour inconvénients aux passagers visés par des annulations ou des retards de vol de trois heures ou plus, si la perturbation est attribuable au transporteur et ne concerne pas la sécurité, et si le transporteur a informé le passager de la perturbation quatorze jours d’avance ou moins.

[7] Lorsqu’un passager demande une indemnisation, le paragraphe 19(4) du RPPA prévoit que le transporteur dispose de 30 jours, après la date de la réception de la demande, pour verser l’indemnité au passager, ou lui fournir les motifs de son refus de la verser.

[8] L’alinéa 80(1)c) de la Loi sur les transports au CanadaNote 1 (LTC) autorise l’Office à accorder des exemptions si l’intéressé « se trouve dans une situation ne rendant ni nécessaire, ni même souhaitable ou commode, cette application ».

PRÉSENTATIONS

[9] Les demanderesses affirment que dans le climat actuel, un délai de 30 jours ne leur laisse pas assez de temps pour répondre aux demandes d’indemnisation, et elles réclament donc une exemption de cette exigence. Dans le présent cas, les demanderesses font état de nombreux problèmes affectant l’industrie du transport aérien : pénuries de personnel à l’ACSTA et à l’ASFC, limites du nombre de vols dans de grands aéroports, importante panne d’Internet, construction d’une piste à l’aéroport international Toronto Pearson, et tests de dépistage obligatoires dans divers aéroports en conséquence de la pandémie de COVID-19. Elles affirment que ces problèmes ont touché le secteur du transport aérien au Canada et partout dans le monde, d’où une hausse des demandes d’indemnisation.  

PRÉSENTATION D’AIR CANADA

[10] Air Canada fait valoir que l’augmentation rapide et temporaire du nombre de demandes des clients causée par les problèmes opérationnels touchant actuellement le secteur de l’aviation la met dans une situation qui rend ni souhaitable ni commode le maintien, à ce moment-ci, de l’obligation de réponse dans les 30 jours conformément au RPPA. Dans sa demande, Air Canada fournit des données pour mettre en lumière l’augmentation qu’elle estime marquée et imprévisible du nombre de demandes d’indemnisation de 2021 à 2022, surtout entre mai et juillet 2022.

[11] Air Canada affirme qu’elle a fait sa planification bien d’avance et a pris des mesures pour être prête en vue de l’intensification de ses activités de 2022, mais que les bris de services partout ailleurs dans la chaîne des principaux fournisseurs de services dans l’industrie du transport aérien ont perturbé les réseaux et ont amplifié les perturbations pour les clients. Elle affirme également qu’elle a mis en œuvre son plan de continuité pour atténuer l’impact de la hausse du volume de demandes d’indemnisation qu’elle reçoit, mais que ce plan s’est révélé inadéquat. Elle indique qu’elle a continué de donner suite aux demandes reçues dans le délai de 30 jours exigé, quoique plus récemment, à quelques heures, voire à quelques minutes de l’échéance.

[12] Air Canada est d’avis qu’une exemption temporaire d’une durée limitée aurait une incidence minime sur les passagers et ne les brimerait aucunement de leurs droits au titre du RPPA. Elle fait également valoir que le temps additionnel qu’elle aurait pour donner suite aux demandes d’indemnisation serait, à terme, avantageux pour les passagers, puisqu’elle aurait assez de temps pour mener l’enquête qui s’impose, répondre avec précision aux réclamations présentées au titre du RPPA et, par le fait même, réduire les erreurs et favoriser le règlement efficace des plaintes.

PRÉSENTATION DE WESTJET

[13] WestJet affirme que, même si elle fait une planification proactive et diligente de son exploitation estivale, elle a été et continue d’être gravement touchée par des situations indépendantes de sa volonté. WestJet indique qu’en conséquence, elle a vu exploser le nombre de réclamations reçues au titre du RPPA en juin et en juillet de cette année.

[14] WestJet admet qu’elle est incapable de gérer la hausse actuelle des demandes d’indemnisation dans le délai de 30 jours prévu dans le RPPA. Elle fait valoir que ce délai n’est ni souhaitable ni commode compte tenu des problèmes actuels sévissant dans l’industrie aérienne.

[15] WestJet fait également valoir que si on lui accordait plus de temps pour répondre aux demandes, elle serait mieux outillée pour donner les bonnes explications concernant les perturbations de vol, et ainsi mieux servir les intérêts de ses passagers. Elle indique de plus que si on lui donne plus de temps pour répondre aux demandes d’indemnisation, les droits des passagers ne seraient aucunement bafoués, car ils sont prévus dans le RPPA.

ANALYSE

[16] Les demanderesses font toutes deux valoir que le respect du paragraphe 19(4) du RPPA n’est ni souhaitable ni commode en ce moment, de sorte qu’elles devraient être exemptées de l’application de la disposition prévue à l’alinéa 80(1)c) de la LTC. L’Office rejette leur argument selon lequel le respect du paragraphe 19(4) n’est pas souhaitable, car le paiement des indemnités dues aux passagers dans le délai prescrit dans le règlement est, de toute évidence, souhaitable. Cette disposition garantit aux passagers qu’ils obtiendront des réponses à leur demande en temps voulu, et s’ils ont droit à l’indemnisation, qu’ils la recevront sans délai. Le volume des plaintes n’affecte en rien le caractère souhaitable de ce résultat. Quoi qu’il en soit, dans leurs arguments, les demanderesses tentent surtout de démontrer que le respect de la disposition n’est pas commode. L’Office orientera donc son analyse sur ce motif d’exemption.

[17] Ces demandes d’exemption à l’application du RPPA ou de cette disposition ne sont pas les premières. La pandémie de COVID-19 a provoqué une suite de situations nouvelles dans le transport aérien au Canada et partout dans le monde en mars 2020, par exemple : l’adoption d’un éventail de restrictions de voyage, la publication de nombreux avertissements aux voyageurs et l’urgence conséquente, pour un grand nombre de Canadiens, de revenir au pays. C’est pourquoi l’Office a décidé d’accorder aux transporteurs aériens une exemption temporaire à l’application d’obligations diverses prévues dans le RPPA. Il a une première fois autorisé ces exemptions jusqu’au 30 avril 2020, dans la détermination A-2020-42, puis, comme la crise se poursuivait, il les a prolongées jusqu’au 30 juin 2020, dans la détermination A-2020-47.

[18] L’Office a également décidé, dans la détermination A-2020-47, d’exempter temporairement les transporteurs aériens de l’application du paragraphe 19(4) afin qu’ils aient plus de temps pour répondre aux demandes d’indemnisation pour inconvénients restées en suspens, au 25 mars 2020, ou présentées entre le 25 mars 2020 et le 30 juin 2020. Au lieu d’être obligés de répondre dans les 30 jours suivant la présentation d’une demande, les transporteurs se sont vu accorder 120 jours après l’expiration de l’exemption pour répondre, soit jusqu’au 28 octobre 2020.

[19] Toutefois, en réponse à d’autres demandes pour que les exemptions soient encore prolongées, l’Office les a refusées dans la détermination A-2020-122 émise le 29 juin 2020. Il y faisait remarquer que les mesures temporaires dans la détermination A‑2020-42 et la détermination A-2020-47 ne servaient pas à alléger les pressions financières sur les transporteurs, mais bien à augmenter leur capacité de composer avec les urgences opérationnelles, particulièrement la nécessité de rapatrier des Canadiens depuis l’étranger, dans le contexte de circonstances qui changeaient de manière soudaine, drastique et répétée à mesure que la crise évoluait. L’Office a fait remarquer que les conditions ont changé depuis ce temps et que les transporteurs n’ont fourni aucune preuve qu’ils faisaient face au même type d’urgences opérationnelles et de changements soudains et drastiques que ceux qui avaient cours au début de la pandémie, ni n’ont démontré pour quelles raisons, après plus de trois mois, il ne leur a pas été possible d’adapter leurs activités aux nouvelles réalités, comme les mesures de précaution en matière de santé et de sécurité. L’Office a reconnu que les transporteurs seraient tenus de verser des indemnités seulement si les vols sont perturbés pour des raisons qui leur sont attribuables, sans être nécessaires par souci de sécurité, et il a indiqué que dans les circonstances qui prévalaient lorsqu’il a rendu la décision, il était « raisonnable de s’attendre à ce que les transporteurs prennent de telles décisions au moins 14 jours avant le départ de vols prévus, donnant ainsi aux passagers le préavis et la prévisibilité que le délai fixé dans le RPPA procure ».

[20] Dans la détermination A-2020-122, l’Office a effectivement prolongé quelque peu l’exemption à l’application du paragraphe 19(4), reconnaissant les problèmes qui surviendraient si les transporteurs avaient jusqu’au 28 octobre 2020 pour répondre aux demandes d’indemnisation présentées avant le 30 juin 2020, mais qu’ils devaient respecter les 30 jours prévus pour toutes les demandes reçues après le 30 juin 2020. Il a ordonné le retour au délai normal de réponse de 30 jours dans le cas des demandes d’indemnisation reçues le ou après le 29 septembre 2020.

[21] Les circonstances actuelles sont très différentes de celles auxquelles les transporteurs aériens ont dû faire face dans les premiers jours de la pandémie, lorsqu’elles changeaient souvent, de façon soudaine et drastique. Après deux ans, la prévisibilité est beaucoup plus grande, et les transporteurs devraient être tenus responsables de leur planification ou de l’absence de planification et être obligés d’en rendre compte. Les transporteurs ne peuvent pas s’appuyer sur leur mauvaise gestion de leurs responsabilités réglementaires pour faire valoir qu’ils devraient en être exemptés.

[22] L’Office fait remarquer que, même si les demanderesses ont fourni des données et des renseignements pour soutenir leur affirmation selon laquelle elles ont connu une importante augmentation des demandes d’indemnisation en juin 2022 par rapport aux mois et aux années qui ont précédé, leurs arguments pour soutenir le volume élevé actuel de demandes d’indemnisation portent surtout sur ce qu’elles prétendent être les causes de volumes si élevés. Toutefois, l’Office n’est pas convaincu que les causes du volume des demandes sont toutes indépendantes de la volonté des transporteurs. 

[23] Quoi qu’il en soit, l’Office convient que le secteur du transport de passagers aériens a connu des difficultés cet été et qu’en conséquence, le nombre de demandes d’indemnisation a beaucoup augmenté. Il conclut toutefois que les causes de l’augmentation des demandes ne sont pas pertinentes à la question de savoir si le respect de l’obligation prévue dans le règlement est commode. Deux éléments sont pertinents à cette question : d’abord les processus des transporteurs et leur capacité à traiter les demandes, tels qu’ils les avaient planifiés puis modifiés à mesure que le volume de demandes augmentait; ensuite s’ils ont agi avec prudence et diligence. 

[24] Les deux demanderesses affirment qu’elles ont pris des mesures pour traiter les volumes de plaintes en hausse, comme d’embaucher plus d’employés, de modifier l’exploitation des vols, d’automatiser certains processus et d’en améliorer d’autres. Toutefois, ni l’une ni l’autre n’a présenté de données ou de renseignements précis concernant les attentes ou les projections à partir desquelles elles ont établi et instauré ces plans, et n’ont pas non plus fourni de données pour démontrer leur capacité actuelle de traiter les demandes, ni comment cette capacité a augmenté dans la dernière année, ou combien de temps il faudrait pour l’augmenter encore plus. Elles ne font qu’affirmer que, dans les conditions actuelles, il ne leur est pas commode de satisfaire aux exigences du paragraphe 19(4), mais sans expliquer avec suffisamment de détails en quoi leur capacité courante et prévue est insuffisante pour traiter les demandes d’indemnisation déjà reçues.

[25] Dans sa demande, Air Canada indiquait qu’à ce moment-là, elle réussissait encore à répondre aux demandes d’indemnisation dans un délai de 30 jours. Elle affirmait également qu’elle tentait encore d’augmenter sa capacité de service à la clientèle. Elle souligne la tendance historique à la hausse du nombre de demandes d’indemnisation mais, sans plus de données, il est impossible de déterminer s’il est commode ou pas de respecter l’obligation de répondre dans un délai de 30 jours.

[26] Les demanderesses affirment qu’elles ont prévu des mesures proactives pour régler les perturbations de vol en hausse (avec l’augmentation conséquente des demandes d’indemnisation). Elles prétendent que, malgré leurs efforts, il n’est plus commode pour elles de se conformer au paragraphe 19(4) du RPPA. Toutefois, en raison du peu d’information que l’Office a obtenu concernant ces plans et leurs conséquences, il ne peut pas déterminer si c’est réellement le cas.

[27] L’Office conclut que les demanderesses n’ont pas établi qu’il n’est pas souhaitable ni commode pour elles de se conformer au paragraphe 19(4) du RPPA.

CONCLUSION

À la lumière de ce qui précède, l’Office rejette les demandes d’Air Canada et de WestJet pour des exemptions temporaires à l’application des exigences prévues au paragraphe 19(4) du RPPA.


Membre(s)

France Pégeot
Elizabeth C. Barker
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