Détermination n° R-2023-88

le 25 avril 2023

Demande présentée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) en vue de modifier les déterminations R-2021-64 et R-2022-183, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (LTC)

Numéro de cas : 
23-04740

Résumé

[1] Le 20 janvier 2023, CN a déposé une demande en vertu de l’article 32 de la LTC afin de modifier les déterminations suivantes :

  • La détermination R-2021-64, qui a fixé l’indice des prix composite afférent au volume (IPCAV) applicable à CN et à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) pour la campagne agricole  2021-2022, et

  • La détermination R-2022-183, qui utilise les IPCAV pour déterminer les revenus admissibles maximaux (RAM) des compagnies de chemin de fer pour 2021 et 2022, calculer leurs revenus et déterminer si leurs revenus dépassent leurs RAM.

[2] Ces calculs sont collectivement appelés les déterminations.

[3] CN affirme avoir subi des répercussions économiques importantes en raison de la différence entre les prévisions de l’IPCAV de 2021-2022 et les données réelles pour cette période. CN soutient que l’Office des transports du Canada (Office) a lui-même reconnu que l’IPCAV pour la campagne agricole 2021-2022 aurait dû être 7,44 % plus élevé lorsqu’il a fixé l’IPCAV pour la campagne agricole suivante dans la détermination R-2022-50.

[4] CN soutient également que l’IPCAV de 2021-2022 n’était pas équitable ou raisonnable sur le plan commercial parce que les affréteurs payaient des tarifs artificiellement bas pour expédier le grain et que ces tarifs ne reflétaient pas les coûts réels de CN. Pourtant, ils ont tiré profit des importantes augmentations des prix mondiaux pour l’exportation de grain et de produits céréaliers.

[5] CN soutient que son RAM aurait été environ 43,8 millions de dollars plus élevé si l’Office avait corrigé l’erreur de prévision. CN souligne que l’IPCAV utilisé pour calculer le RAM de 2021-2022 a été ajusté par la détermination R-2022-28 pour tenir compte de l’investissement de CN dans des wagons-trémies, mais qu’aucune compensation ni correction n’a été faite pour tenir compte de l’erreur de prévision.

[6] CN réclame un remboursement de 3 221 492 $, qui comprend les revenus excédentaires de 3 068 088 $ qu’elle a versés à la Western Grain Research Foundation (WGRF) et la pénalité de 153 404 $ pour avoir dépassé son RAM lors de la campagne agricole 2021-2022. CN demande également la comptabilisation de ses revenus perdus pour cette campagne agricole, qui, selon elle, s’élève à 40,8 millions de dollars. Elle soutient que ces revenus perdus devraient être déduits de ses revenus pour la campagne agricole 2022-2023 en cours et les campagnes agricoles subséquentes, au besoin.

[7] CN soutient que les déterminations devraient être modifiées parce que les circonstances qui ont entraîné un écart de 7,44 % entre les coûts prévus et les coûts réels n’existaient pas lorsque l’Office a fixé l’IPCAV pour la campagne agricole 2021‑2022. CN souligne que l’Office a déclaré dans la détermination R‑2022-50 que ce changement de prix est en grande partie lié aux événements mondiaux récents. La détermination mentionne l’augmentation des coûts du pétrole brut en 2021 et à la suite du déclenchement du conflit en Ukraine en 2022. Les défis liés à la chaîne d’approvisionnement mondiale et les déséquilibres entre l’offre et la demande en 2021 ont aussi joué un certain rôle dans les changements de prix plus élevés que prévu pour les intrants ferroviaires, notamment l’acier, les métaux ouvrés et les produits pétroliers dérivés.

[8] CN affirme que l’ampleur du changement est un facteur contributif en l’espèce parce que depuis le début du programme du RAM, il n’y a jamais eu de différence aussi importante entre les données prévues et les données réelles. CN soutient qu’il n’y aura probablement pas d’écart de prévision positif semblable pour compenser cette différence à l’avenir.

[9] Cette détermination porte sur la question à savoir si l’Office devrait modifier les déterminations en vertu de l’article 32 de la LTC.

[10] Pour les motifs énoncés ci-après, l’Office conclut qu’il n’y a pas eu de changement dans les faits et les circonstances au sens de l’article 32 de la LTC en l’espèce, et refuse donc de modifier les déterminations à la demande de CN.

Contexte

[11] En vertu de la LTC, le programme du RAM prescrit le revenu maximal auquel ont droit CN et CP pour transporter le grain de l’Ouest au cours d’une campagne agricole, qui s’étend du 1er août d’une année jusqu’au 31 juillet de l’année suivante. Dans le cadre de ce programme, l’Office doit calculer l’IPCAV applicable à chaque compagnie de chemin de fer, au plus tard le 30 avril pour chaque campagne agricole à venir.

[12] L’IPCAV est un indice d’inflation qui prévoit les variations de prix des intrants ferroviaires comme la main-d’œuvre, le carburant, les matériaux et d’autres éléments constituant le capital, d’après les données historiques sur les prix fournies par CN et CP, y compris les variations de prix réelles pour l’année civile précédente, et des modèles prévisionnels bien établis qui intègrent les prévisions de tiers experts qui étaient disponibles au moment du calcul. L’Office établit des prévisions de prix pour deux années civiles à chaque campagne agricole, ce qui permet d’ajuster les prévisions de l’année civile en cours. Ces prévisions sont ensuite calculées au prorata pour arriver aux prévisions de la campagne agricole.

[13] Au plus tard le 31 décembre de chaque année, l’Office doit appliquer les IPCAV fixés pour la campagne agricole achevée à une formule législative dans le but de calculer les RAM applicables à CN et à CP pour cette campagne agricole. L’Office effectue également un certain nombre de réductions et de rajustements aux revenus déclarés par CN et CP en vue du mouvement du grain de l’Ouest au cours de la campagne agricole achevée. Si l’Office détermine que les revenus d’une compagnie de chemin de fer excèdent son RAM pour cette campagne agricole, la compagnie doit payer le montant excédentaire et toute pénalité précisés dans le Règlement sur le versement par les compagnies de chemin de fer de l’excédent de revenus pour le mouvement du grain (DORS/2001-207).

[14] Une fois que ces déterminations annuelles sont fixées, le pouvoir de les modifier est limité. Les options comprennent l’application de l’alinéa 151(4)c) de la Loi, d’une directive ministérielle ou de l’article 32 de la LTC :

  • L’alinéa 151(4)c) de la LTC permet à l’Office d’ajuster l’IPCAV afin de tenir compte des coûts supportés par les compagnies de chemin de fer pour obtenir des wagons-trémies en vue du mouvement du grain de l’Ouest, comme l’a fait l’Office pour CN dans la détermination R-2022-28.

  • Le ministre a ordonné à l’Office d’ajuster le calcul de l’IPCAV pour la campagne agricole 2007-2008 afin de tenir compte des coûts d’entretien des wagons-trémies (voir la décision 67-R-2008).
  • En vertu de l’article 32 de la LTC, l’Office peut réviser, annuler ou modifier une décision ou un arrêté s’il estime que les faits ou les circonstances ont changé depuis que la décision ou l’arrêté a été rendu. Par le passé, l’Office a accueilli un petit nombre de demandes déposées en vertu de l’article 32. Dans la majorité de ces cas, les modifications ont corrigé des erreurs de calcul (par exemple la détermination R-2019-221 et la décision 374-R-2015 [paragraphes 6 à 13]). Dans la détermination R-2018-225 (paragraphes 19 à 21), l’Office a rejeté la demande de CN de modifier l’IPCAV de 2018-2019 pour tenir compte des investissements prévus dans les locomotives. L’Office a déclaré qu’il tiendrait compte des investissements réels de CN dans les locomotives lorsqu’il calculera l’IPCAV pour la campagne agricole suivante.

Demande de confidentialité

[15] CN a demandé à l’Office d’accorder le statut confidentiel à trois annexes jointes à ses demandes, faisant valoir qu’elle pourrait subir un préjudice direct particulier si les renseignements confidentiels qu’elles contiennent étaient divulgués. Les annexes comprennent les déterminations R-2020-207, R-2021-197 et R-2019-245 de l’Office qui ont été publiées de façon confidentielle parce qu’elles contiennent des renseignements commerciaux de nature délicate. L’Office confirme donc la confidentialité de ces déterminations et inscrit les annexes 14, 15 et 16 de CN aux archives confidentielles de l’instance.

Analyse et détermination

[16] Pour décider s’il convient de modifier les déterminations en vertu de l’article 32 de la LTC, l’Office examine s’il y a eu un changement dans les faits ou les circonstances et, dans l’affirmative, si le changement est suffisant pour justifier une modification.

[17] L’Office calcule les IPCAV pour CN et CP pour la campagne agricole suivante au plus tard le 30 avril, en se fondant, d’une part, sur les données historiques et, d’autre part, sur les prévisions à l’aide des meilleures données disponibles au moment du calcul. Compte tenu du cadre législatif du programme du RAM, il est fort probable qu’il y aura des différences entre les prévisions utilisées pour calculer l’IPCAV en avril et les résultats réels de la compagnie de chemin de fer au cours de la campagne agricole qui suit. Cela entraînera une sous-estimation ou une surestimation des prévisions pour certains changements de prix, qui sera au détriment ou au profit de CN et de CP au cours d’une campagne agricole donnée. Toutefois, la différence entre les données prévues et les données réelles sera prise en compte dans le calcul de l’IPCAV de l’année suivante. Dans ce cas particulier, la sous-estimation de 7,44 % des prévisions pour la campagne agricole 2021-2022 a été prise en compte pour la campagne agricole 2022-2023, comme l’indique la détermination R-2022-50.

[18] La détermination R-2022-50 a utilisé les changements de prix réels de 2021 et les prévisions révisées de 2022 pour calculer l’IPCAV de 2022-2023. Comme CN le souligne, l’Office a reconnu que la volatilité des prix du pétrole et l’augmentation des coûts des matières premières, comme les métaux ouvrés et les produits raffinés du pétrole et du charbon, qui sont des intrants clés du modèle de prévision de l’Office pour estimer les prix des matériaux étaient les principaux facteurs qui ont contribué à la différence nette des prévisions d’une campagne agricole à l’autre. L’Office a également reconnu que les prix du carburant et des matériaux avaient encore augmenté en raison de la guerre en Ukraine, qui a commencé en février 2022, et de l’augmentation de l’activité économique attribuable à l’assouplissement mondial des mesures restrictives liées à la COVID-19. Ces facteurs étaient très difficiles à prévoir. Il est possible que des écarts d’une ampleur similaire se reproduisent à l’avenir au profit ou au détriment des compagnies de chemin de fer ou des affréteurs, compte tenu de la volatilité des prix du pétrole et des répercussions économiques potentielles des changements climatiques et des événements mondiaux imprévus comme les pandémies, les guerres et d’autres tensions géopolitiques.

[19] Toutefois, l’affirmation de CN selon laquelle elle a perdu 43,8 millions de dollars au cours de la campagne agricole 2021-2022 est trompeuse. L’ajustement de l’IPCAV pour la campagne agricole 2022-2023 confère à CN un droit à des revenus plus élevés pour la campagne agricole 2022-2023, ce qui lui permet de gagner des revenus supplémentaires pendant cette campagne agricole, y compris le montant versé à la WGRF pour la campagne agricole 2021-2022, conformément à la jurisprudence antérieure de l’Office. L’Office estime donc que le caractère équitable et raisonnable sur le plan commercial du programme du RAM pour les compagnies de chemin de fer et les affréteurs ne peut être évalué en fonction du rendement du marché au cours d’une seule campagne agricole.

[20] CN soutient également que la sous-estimation de 7,44 % des prévisions pour la campagne agricole 2021-2022 est exceptionnelle et qu’il est peu probable qu’une surestimation de la même ampleur se produise à l’avenir. Toutefois, il y a eu des cas où l’Office a largement surestimé les hausses de prix dans ses prévisions. Par exemple, l’Office a surestimé l’IPCAV de 4,1 % dans ses prévisions pour la campagne agricole 2014-2015 et a baissé l’indice du même montant lorsqu’il a fixé l’IPCAV de 2015-2016 dans la décision 120-R-2015. En raison de cette surestimation, CN s’est vu accorder un RAM supérieur à celui auquel elle aurait dû avoir droit au cours de la campagne agricole 2014-2015 et elle n’a pas été tenue de rembourser les revenus excédentaires du grain et une pénalité à la WGRF.

[21] L’Office conclut que le fait que les prévisions utilisées dans le calcul de l’IPCAV pour 2021-2022 étaient en fin de compte différentes des prix réels en raison d’événements extérieurs qui se sont produits pendant la campagne agricole 2021-2022 n’équivaut pas à un changement dans les faits ou les circonstances qui nécessiterait d’apporter des modifications en vertu de l’article 32 de la LTC. Le programme du RAM fournit déjà un mécanisme pour corriger tout écart entre les données prévues et les données réelles en tenant compte de ces écarts dans le calcul de l’IPCAV de l’année suivante.

[22] Pour ces raisons, l’Office conclut qu’il est à la fois inutile et inapproprié d’utiliser l’article 32 de la LTC pour modifier l’IPCAV lorsque les prévisions ne correspondent pas aux données subséquentes, que ce soit pour augmenter ou diminuer l’indice au cours d’une campagne agricole donnée. L’Office refuse donc de modifier les déterminations à la demande de CN.

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Mark MacKeigan
Heather Smith
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